Chapitre 6




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X251 reste aux basques de Bill. Pourquoi, X251, expliquez-nous.

-       Parce que, des trois moineaux tombés de leur nid qui veulent jouer aux virtuoses de la cambriole, c’est celui qui connaît la planque rêvée pour le butin, une ambassade, où il entre et sort comme dans un moulin. Mon éducation classique pour le moins emmerdante et surannée me fait aussi pencher pour l’élément mâle du groupe. Un relent de patriarcat, un effluve de droit salique qui me reste de mon instruction pré-soixantuidarde où la loi c’est l’homme, parce que c’est comme ça, et que celui qui tape le plus fort a quand même souvent raison, surtout vers la fin de la discussion, à défaut d’avoir le moindre argument valable. Ca marche depuis Cromagnon, et nous serions assez malins pour tout d’un coup changer l’ordre du monde ? Quelle présomption ! Plus simplement, parce que je le sais, je suis payé pour ça.

Poursuivons. Malgré son flair, X251 n’a pas grand chose à se mettre sous la dent. Je ne parle pas de la darne de saumon qu’il termine mélancoliquement dans son réduit  sombre, mais du vide sidéral qui caractérise ses recherches. C’est le creux de la vague. Si l’on veut une vague, il faut bien un creux. Si l’on veut du plaisir, il faut de l’envie, donc de l’attente, philosophe-t-il. Et puis on a quand même répondu à la première question, à savoir qui. D’accord, seul le « où » les intéresse.

Voilà le garçon qui sort de son trou consulaire avec un petit brun, genre italien. Ils entrent dans un café et se lancent dans une discussion animée mais incompréhensible pour X251 qui ne parle que le français, et plutôt mal, si l’on en croit ses anciens bulletins scolaires. Installé en retrait avec un expresso comme alibi, il enregistre pourtant avec méthode et un petit magnétophone portatif, de ceux qu’utilisent les PDG pour terroriser à distance leurs caudataires les plus impressionnables. Cette fois-ci, la récolte sera bonne. Il a surpris un « Leonardo da Vinchi » qui par analogie phonique devrait correspondre à notre Léonard. Ou alors j’abandonne. Faudra voir avec Georges à la traduc.

-       Non, ça ira. C’est un Italien de New York, répond Georges, c’est juste l’accent. T’es prêt ?

Georges traduit en direct, sa voix sonore couvrant le pépiement de l’Italien et le roucoulement mou de Bill.

-       C’est l’Italien qui parle : Les types de Washington s’agitent. Ils savent que tu as le Léonard. T’as pas d’bol, tout le monde se fout évidemment de Leonard de Vinci à Langley, mais voilà, ton histoire tombe à pic: On est en délicatesse avec nos amis français, de la cuisine de barbouzes, je passe les détails. Et franchement, tenir la preuve de ce snafu (acronyme du dialecte militaire, situation normal, all fucked up), ça nous aiderait. Ta petite histoire est prise dans le tourbillon de la grande. Tu as encore le choix. Tu le rends gentiment à l’ambassade. Fais vite. Si tu traînes, ça va énerver tout le monde. En bas de la pyramide, il y a des personnages qui maîtrisent mal leurs émotions. Un peu de tension, et c’est l’accident, bête et brutal.

-       C’est une menace ?

-       Evidemment, têtard. Tu crois sérieusement qu’on a regardé tes parties de jambes en l’air et ton entourloupe au Léonard comme des fées au-dessus d’un berceau ?

M’enfin, rumine X251, c’est exaspérant. C’est pas un moulin ici. Ces types visitent la maison comme si ils avaient les clés.

-       Tout le monde sait ? Reprend Bill.

-       Tu rends le Léonard, tu sautes qui tu veux et t’écris tes mémoires.

-       A qui ?

-       Pour tes mémoires, je suggère la postérité. Pour le Léonard, à nous.

-       Quand ?

-       Disons maintenant.

-       C’est quoi, la récompense ?

-       Oh la, bonhomme. La vie, ça te va ?

-       Les Français payent mieux…

-       … Petit vicieux.

X251 arrête la bande, et subséquemment Georges. Le petit comique est sacrément culotté. Pour confirmation, il appelle son supérieur. Pas de contact avec Bill. On reprend Georges.

- … Petit vicieux.

-       Ca n’a rien de vicieux. J’entreprends dans le compliqué, je réussis l’improbable, je mérite de l’élégant, du raffiné, du luxueux.

-       Tu rameutes surtout les emmerdes. Tu vas te faire offrir une médaille calibre 38 qui tiendra toute seule, pas besoin de ruban.

-       Tatata, Marcello. Ecoute. Certains amis ont toute cette histoire, preuve à l’appui, expliquée de long en large prête à être postée aux journaux. Si la DST fait des bêtises, c’est la honte pour le quai Conti et le ministère de la Culture. Si c’est la CIA, ça s’appelle un incident diplomatique, désagréable vocable aux oreilles sensibles de son Excellence. Alors on négocie cool.

-       How much ?

-       Cinq cent mille. Ca fait cinq millions du kilo, cinq cents du centimètre carré, mille par année d’âge, raisonnable vu le marché.

Cette petite bavette a le mérite de faire comprendre à Bill que son Léonard n’est plus du tout, contrairement aux seins d’Amélie dans leurs bonnets de dentelle, plus du tout en sécurité à l’ambassade. Il faudra donc, comme sa métaphore mammaire, l’avoir à portée de main le plus souvent possible.

Après un mois de voyeurisme professionnel et rémunéré, X251 rend un rapport un peu décevant. Un modeste jersey auquel il aurait manqué une manche. Dans un bureau tout de grisaille, le lino expire, l’armoire en ferraille ne se laisse forcer que par la brutalité la plus primaire, le bureau en métal rouillé ne fantasme même plus sur l’installation, un temps espérée, d’une chaise de bureau accorte, et Mude, au milieu, chef taciturne, caméléon qui a viré au gris après trente ans de cette cellule monochrome, X251 fait son rapport.

- Le triumvirat du sexe a fait le coup. L’Américain a planqué le document quelque part, sans doute pas à l’ambassade, vu que nos collègues en savent autant que nous. Et j’aimerai bien savoir comment d’ailleurs. Ils veulent le refiler à un journal pour que le scandale éclate.

-       Bon. On passe à la phase deux, énonce Mude. On envoie Tic et Tac chercher la noisette.

-       Ca me fait de la peine, chef, répond, X251, les sourcils levés d’impuissance. Ils sont mignons nos pigeons.

-       Ca fait toujours de la peine d’envoyer Tic et Tac.

Tout le monde hoche la tête. On rentre la dentelle de la psychologie et de l’art de l’attente pour sortir la barre à mine. Désolant.

-       D’accord patron. Je remballe le matériel, et vous lâchez les brutes.

Les ordres de mission de Tic et Tac sont laconiques. A eux deux, ils ne peuvent enregistrer qu’un nombre très restreint d’informations. Après, c’est le bordel. Et lorsque les deux primates perdent la logique d’une mission, aussi rudimentaire fût-elle, ils débranchent la lueur vacillante de leur cortex vide, pour retrouver la chaleureuse ambiance de leur système limbique, centre des émotions animales, dans laquelle virevoltent, au hasard, l’odeur de maman, le regard fou de papa ivre, le toucher visqueux du sang, le couinement rauque de minet, le chat noir, étranglé à main nue quand on avait neuf ans. Et là, les gars, quand on est dans la mire de ces deux Frankensteins, on regrette d’avoir piqué un Léonard.

On ouvre donc la boîte de Pandore, et fait quérir les deux analphabètes. Ils dépareillent dans cette ambiance morose, car, tout barbares qu’ils soient, les frérots sont joviaux, hébétés quelque fois, mais jamais sinistres.

-       Bonjour les amis. Asseyez-vous, les entreprend Mude. Voilà, on a perdu un petit document.

Pédagogique à fond, Mude écarte les bras pour montrer la longueur, et espérant, la persistance rétinienne aidant, qu’ils n’oublient pas le premier paramètre, tout de suite indique sa largeur en basculant les mains d’un quart de tour. On sait qui a le document. Mais on ne sait pas où il l’a mis.

-       On va bientôt savoir.

-       Ah. Important. Personne ne meurt cette fois ci. On fait peur, un peu mal, mais pas plus. On n’est pas forcément tout seul sur le coup. On pourrait croiser des collègues américains. Eux non plus n’ont pas de réservations pour la morgue. 

 


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