Chapitre 9




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Le petit-fils de l’ambassadeur.
Camille, dans son box B3, après deux ou trois cafés réparateurs, se remémore la nuit passée. Le type dans son lit ce matin était le petit-fils de l’ambassadeur. Oui Madame. Un garçon charmant qui, outre son pedigree et un excellent français, arborait une santé de fer, de celle que l’on confère volontiers, sur leur simple bonne mine, à ses anglo-saxons montés en herbe qui prolifèrent sur nos plages l’été venu.
La Blue Cross étant l’assureur quasiment attitré des membres de l’ambassade des Etats-Unis, par simple mouvement brownien et proximité relative, un certain nombre de ces derniers, les plus jeunes et les plus entreprenants, se retrouvent régulièrement à délivrer quelques millilitres de concentré d’eux-mêmes dans l’orifice prévu à cet effet de charmantes mais néanmoins coquines employées de la Blue Cross. Dont Camille. Dont Marie, nous y reviendrons.
Bref, Camille raconte à ses copines sa fin de soirée avec un descendant direct de l’Ambassadeur. Dans leur poursuite triviale, comme elles aiment à nommer leur passe-temps, cette performance frôle l’exploit, le coup historique.
En effet, dans ce jeu indigne de la France et sa culture plurimillénaire, le but est de coucher avec les personnages les plus en vue de l’ambassade, toute la menue fretaille chauffeurs, portiers, garçons de courses ou d’étage, étant écartés d’office.
Comme l’assureur a son content d’invitations pour les réceptions de l’ambassade, le terrain de chasse est bien délimité. Les règles du jeu sont simples, il s’agit de quitter ostensiblement la party du jour avec à son bras tel ou tel membre, entendons-nous, tel ou tel vice-consul ou sous-secrétaire. Si sa femme est présente ça compte double. Pour le reste, pas besoin de preuves, le monde est ainsi fait que lorsque qu’un homme et une femme quitte une soirée un peu tôt c’est dans l’esprit de l’homme pour envisager un nouveau gueuleton avec différents plats tous plus exotiques les uns que les autres, et de plus très bon pour la ligne, beaucoup ayant les yeux plus gros que… Dans l’esprit de la femme, c’est moins euphorique. Peut-être sait-elle déjà que l’orgie annoncée se finira en fast-food. Je ne sais pas. C’est  assez obscur en fait.
 
Les garçons de la Blue Cross connaissent le jeu, mais n’ayant jamais réussi à lever la moindre stagiaire, ils ont vite abandonné ce passe temps pour « salopes en chaleur ». Ceci prouve que un, les échantillons masculins de la Blue Cross sont éventés et sans saveur, et deux, que la nature est vraiment injuste, gratifiant les hommes de toutes les envies du monde et les femmes de tous les moyens de les satisfaire, agrémentés d’une taquinerie sadique et d’une résistance au désir ahurissante.
Malgré qu’il ne participât d’aucune sorte à ces bacchanales, Grégoire a quand même, lui aussi, tissé des liens étroits avec le personnel de l’ambassade américaine et notamment avec Robert, Bob, O’Malley. Avec de petites lunettes rondes sur sa tête de koala, Bob souffre des mêmes maux que Greg, cette communion dans le malheur ayant, c’est l’évidence, développé leur empathie mutuelle. Lui aussi recherche fiévreusement ses racines mais O’Malley, c’est comme Durand, il y a de quoi replanter l’Amazonie avec leurs arbres généalogiques. Bob lui avait indiqué les bons créneaux horaires pour accéder aux sites américains, lorsque la côte Est dort du sommeil du golden boy sous cocaïne et la côte Ouest du sportif sous anabolisant. Ils étaient donc copains comme cochons malgré la monstrueuse barrière linguistique que ni l’un ni l’autre n’avait l’intention d’escalader un jour.
A la soirée pendant laquelle Camille décroche le jackpot, Marie fait une rencontre cruciale pour notre histoire. Marie se fout complètement de cette histoire, mais pas du tout de Tomas, et cette rencontre intéresse directement notre lecteur taille extra large.
Si la moitié inférieure de Marie, on l’a vu, ne rentre ni dans les canons de beauté de nos sociétés occidentales, ni dans un bon quarante-deux, elle peut par contre harponner n’importe quel homme quand son regard crépite.
Elle a repéré depuis un moment un robot habillé par Armani, les traits lissés à grand coup de massages faciaux, la coiffure poivre et sel d’un sénateur républicain en campagne, un complet repassé directement sur lui ou peut-être même avait-on repassé le bonhomme avec. En langage vestimentaire, ce type est une grosse huile et représente par le fait un nombre de points considérables, même s’il déambule devant Marie avec un je ne sais quoi d’inaccessible, de repoussant. Les copines n’ont encore rien vu, il faut appâter. Elle l’approche en douceur en se mêlant à son groupe qui parle visiblement chevaux. Ou femmes, peut-être, mais grossièrement alors. Elle grignote quelques cochonneries salées pour se donner contenance, cochonneries salées peu propices à permettre l’achat d’un trente-huit d’ici à quelques semaines, et réussit à croiser le regard de l’animal à sang froid, elle frissonne.
Le badinage s’amorce, mais très rapidement Marie s’aperçoit que l’homme sans regard a compris le jeu - pas nécessairement toutes les subtilités du règlement - il a pris Marie pour une petite pute qui fait son métier, ce n’est pas tous les jours dimanche. En vrai capitaliste préoccupé d’efficacité, le temps, le sexe, la vie, c’est de l’argent, il demande crûment combien ça coûte.
Ma petite Marie, à faire la fofolle avec des points à gagner comme dans un concours de station essence, on tourne un peu pute. Une femme qui monnaie, en petites coupures ou en points d’un concours imbécile, ce cadeau unique qu’est une nuit d’amour, une jambe qui s’éloigne doucement de sa sœur acceptant de livrer la place à l’envahisseur alors que rien ne l’y oblige, ça s’appelle une briseuse de rêves. Les professionnelles, pour la plupart, font ça pour payer le loyer, et alors soit. Mais toi ? Tu fais ça pour quoi ? Par déception d’être encore seule à ton âge ? Par plaisir, vraiment ? Par désœuvrement ?
Toujours est-il que le robot a mis dans le mille. Et tu restes là, les bras ballants. Tu te diriges vers la sortie, seule, convaincue que c’est la dernière fois que tu remets les pieds ici, lorsqu’un petit brun te bouscule, renversant du champagne sur ton craquant caraco crocus. Tu es prête à jurer, et puis non, dégoûtée, dépitée, tu sors. Le type te touche l’épaule, tu te retournes prête à vomir une obscénité aussi moche que la question du nettoyé à sec de tout à l’heure.
Grosse déprime.

 
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