Chapitre 4



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-       Oui, y baise bien, mais…

-       Mieux que l’autre crétin j’imagine …

-       Arrête, Arthur vit sur une autre planète, il n’est jamais…

-       Ben vire-le alors.

-       Il est calme, il me calme.

-       Des clous, il baise comme une sole, tu me l’as dit.

-       Je veux te parler de Bill, pas de…

-       C’est qui çuila ?

-       T’écoute jamais, Bill c’est le…

-       Aah, le yankee, Buffalo Bill…

-       Arrête, Ecoute. C’est à propos de ton histoire de Léonard. T’as avancé ?

-       Je vois pas le rapport…

-       Il est devant toi, le rapport. Bill est américain, il travaille à l’ambassade, il pourrait bien être le chaînon manquant.

-       Tu lui as parlé de Léonard ??

-       Un peu. Tu sais, je t’ai dit, quand je …

-       T’es incroyable. Si t’avais été dans la résistance, elle se serait bien marré, la Gestapo. A part qu’il te saute, pourquoi on aurait confiance ?

-       Je le tiens dans ma main…

-       Des mecs tenus dans la main qui se sont barrés avec la caisse, y’en a plein les prétoires de justice.

-       Ecoute, tu l’as dit, on pique le truc…

-       C’est pas un truc…

-       On pique le Léonard, on le met en sureté rue Gabriel…

-       Rue Gabriel ?

-       A l’ambassade des Etats-Unis, et on peut commencer les négociations plus sereinement.

La noble idée brassant dans un contexte artistique une pincée de Robin des Bois, une louche de Zorro et un zeste d’Arsène Lupin commence à prendre forme. Bill. Il faut le prendre par la main et l’amener insensiblement à cette idée si jacobine du respect du plus grand nombre. Un gamin nourri au biberon de la société de surconsommation et de l’hyper individualisme, c’est pas gagné. Bien que, quand on y regarde de plus près, la courtoisie américaine apparait, si l’on se réfère à la conduite automobile ou la patience dans les files d’attente, un peu plus reluisante que l’incivisme gaulois.

-       Bill, je te présente Garance, elle ne parle pas trop anglais, je traduirai.

-       Bonejour, mademoiselle, tente Bill.

-       Bon, Bill, tu te souviens de l’histoire des tableaux de l’Institut ?

-        La Vieille Dame ?

-       Oui, voilà. Garance les a vus de près. Elle, on, trouve que c’est scandaleux. On veut faire quelque chose.

-       Imaginons qu’on détrousse effectivement la vieille dame réfléchit Bill à voix haute. Qu’est-ce qu’on fait du trésor ?

-       Garance veut tenter le coup et l’envoyer à un grand journal du soir.

-       Pourquoi du soir ?

-       Pardon, c’est un idiotisme pour parler du plus grand journal français, le New York Times d’ici, si tu veux.

-       Funny. We call the New York Times the “Old Gray Lady”. Looks like we’re in a nursery or somethin’. That’s a lot of old ladies. Leftist, intellectual, bullshit.

-       Qu’est-ce qu’il dit ? S’enquiert Garance. Après le résumé d’Amélie elle s’enflamme :

-       Oui, mais tu te rends compte de la une ? « Un cadavre de Léonard dans le placard de la république ». On se fait connaître. Comme opération marketing, c’est autre chose que de choisir new roman plutôt que arial comme police de caractère de ton C.V.

-       Et si le préposé au courrier met ça à la poubelle, catégorie grosse farce ? S’il le carotte ? Rétorque Bill après avoir pris connaissance du contenu de la diatribe de Garance par son oreillette préférée. Super risqué. Moi, je l’échange contre une valise de fric. Ça c’est du sûr.

-       Avec un trou dans la tête pour le tampon d’authenticité de la transaction ? Là, c’est Amélie qui a repris la balle de la conversation avant de la faire traverser le filet de la langue vers Garance.

-       Bien sûr, y’a un risque.

-       Bon, je résume, reprend Garance d’un ton énergique et autoritaire. On prépare tout, on opère, et on reprend la discussion après.

 

Décidément les musées sont fréquentés par des individus bizarres. L’insouciance du jeune Yankee balaie pourtant ses appréhensions, à vingt ans on est encore prisonnier de sa propre image, surtout quand le miroir s’appelle Amélie ou Garance. A cinquante aussi, on est toujours prisonnier. Mais on en est conscient, on progresse.

Les voilà donc plongés dans des débats dinatoires et contradictoires, séances arrosées où il est question de clés chapardées à M. Londubat, de plans, d’horaires, de gardiens. On est bien. On est ensemble.

Mais la stratégie et les séances de brainstorming ne sont pas l’apanage de nos fougueux étudiants. De l’action, encore de l’action, toujours de l’action.

Garance, à l’évidence, sert alors de moteur et de cerveau au complot. Une pince lui tord le ventre qui la pousse à agir. Garance est prête à faire payer quelqu’un – ce sera son père - pour les vingt dernières années qu’elle a passé en prison. Elle ressent plus fort toute l’inutilité du sacrifice de sa jeunesse. Comme piquée par un insecte, elle est prête à écraser brutalement la bestiole : notoirement inutile du point de vue analgésique, mais tellement satisfaisant. Même si ça l’irrite de réagir aussi violemment, elle qui aime tant opposer à la vie son indifférence et son dédain, elle veut mettre une croix sur son passé, se délester de tous ces mornes volumes de sa biographie, dans lesquels trop de pages sont restées vierges, pour laisser monter la montgolfière de sa vie. Le sacrilège est un sacrifice.
 


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