Chapitre 4



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Les trois pillards se mettent en route, chacun brûlant son propre  carburant. Pour Garance c’est de la haine pure, le plus fort et le plus calorifère des trois. Amélie vasouille gentiment entre la promesse d’un avenir de dilettante fortunée, visitant Florence hors saison, et celle de projeter sa carrière dans le monde de l’art par une action si médiatique. Bill enfin, repoussant ces fantasmes, tout ça n’est pas sérieux, girls, vous savez combien ça vaut ?

-       Nope, do you ?

Bill ne répond pas, rêveur. Sa culture, son éducation refont surface. Millions of dollars. Trois mots qui emmèneraient un américain droit en enfer. Si l’on mijote le tout avec une louche de testostérone, on se retrouve avec un jeune homme prêt à faire une connerie. Une grosse.

Les voilà donc, au clair de lune longeant l’écrin qui renferme l’objet de leur convoitise. La clé de Londubat le Grand fait son office, et le trio pénètre dans l’enceinte, rasant une contre-allée donnant sur la coupole. Le petit détachement volant au secours des idéaux républicains avance silencieusement. Bill ouvre la porte d’accès à la bibliothèque, et laisse passer les dames. Tout à son excitation (la nuit, le stress, le parfum d’Amélie) il ne se méfie pas du groom, gardien austère et violent, qui, comme l’ennemi défait dans un geste désespéré sonne le cor pour donner l’alerte, précipite la porte contre son chambranle dans un tintouin à réveiller tout le quai des Orfèvres, de fait dangereusement proche.

-       Shit. Bill !

-  Oui, merde. Regarde. Il n’y a pas de poignée de ce côté-ci. On ne peut pas sortir.

     -  Superbe. On a fait illusion trente secondes.   

Garance reprend sa respiration et le contrôle de la situation :

-      Il y a une sortie de l’autre côté. Venez.

La petite troupe arpente des couloirs sinueux et bas de plafond, globules perdus dans le réseau capillaire. D’heureusement rares anastomoses leur posent quelques vagues questions dédaléennes. Enfin, ils arrivent dans une cavité plus importante, sorte de rectum à la sortie de l’intestin, éclairé du plancher par des spots bleutés. Au mur, une série de tableaux, d’esquisses.

- Bon. C’était pas sorcier. Et voilà, là-bas au fond, l’escalier qui nous ramènera dehors.   

-       Lequel on prend ?

-       J’avais pensé au Léonard de Vinci, là, des croquis et une analyse technique sur la profondeur de champs et son rendu dans un tableau. Pas trop grand. Pas mal.

-       Pourquoi pas plusieurs ?

Un craquement sinistre répond que bon, les mecs, on n’est pas à la cueillette des chanterelles en forêt de Fontainebleau, et que si les forces républicaines de sécurité débarquent, il sera malaisé d’argumenter qu’il faisait noir, et qu’on ne savait pas monsieur l’agent.

On prend le Léonard et on se tire. Remontant les marches du petit escalier en colimaçon, les trois larrons n’en mènent pas large. Ils ne mènent plus rien du tout d’ailleurs quand un cliquetis de serrure résonne au-dessus d’eux. Ils redescendent précipitamment les degrés de granit, petits animaux nocturnes pris dans le balai des phares. Dans le recoin sous les marches, une énorme épeire regarde, dubitative, ces trois proies un peu surdimensionnées, mais terriblement appétissantes, ses quarante yeux et autant de neurones élaborant en toute hâte un stratagème pour refaire son frigo pour des siècles et des siècles.

Fantasme gastronomique fatal, petite arachnide, tu outrepasses les lois pourtant simples de Dame Nature. Une araignée mange des mouches, elle a faim deux jours sur trois, et son délire cynégétique le plus débridé s’arrête à l’évocation d’une sauterelle obèse et suicidaire. Paf ! A tranché le ministère public. Coupable d’être sortie du registre. Coupable d’avoir imaginé, coupable d’avoir pris la place du Créateur, les araignées ne déconnent pas plein tubes dans les soupentes obscures des escaliers de l’Institut. Sinon, c’est le bordel. Repaf ! Bill le bourreau achève son lugubre office. Il a en effet un peu peur de la réaction épidermique et bruyante de la gente féminine devant le monstre velu.

Un autre monstre velu, bipède celui-là, suit un rai de lampe torche. Comme un enfant curieux, le faisceau de la lampe court, rebondit, folâtre, farfouille dans l’obscurité. Le gardien a t’il entendu quelque chose ou cette ronde fait-elle partie simplement des règles de sécurité exécutées à la lettre ? Pas angoissé, le bonhomme traîne ses savates sur le sol inégal, remonte les marches lourdement, tu parles d’un boulot, l’entend-on marmonner. Ca se détend sous l’escalier. Les muscles faciaux suivent le mouvement et trois sourires pâles se dessinent sur les faciès encore livides (qu’est ce qui foutent les capillaires sanguins, toujours en retard, c’est insupportable) de nos cambrioleurs post-pubères.

Bill remonte l’escalier suivi de quatre seins recroquevillés dans leurs dentelles. Deux portes encore, séparées par un couloir éclairé de la lumière bleutée et artificielle d’un téléviseur qui, l’audimat au plus bas, cherche visiblement à racoler un improbable passant. On rampe sous les vitres éclairées de l’aquarium du gardien, ratant donc la série américaine de la nuit où les personnages s’évertuent pitoyablement à faire bouger leurs lèvres en phase avec la diction monocorde et stéréotypée d’un doublage de seconde zone. Deuxième porte. Même s’il reste hautement improbable que la Vierge Marie ait bricolé la serrure et huilé les gonds dans l’heure écoulée, on la remercie quand même.

Les trois ombres se glissent alors hors du corridor et se retrouvent, minuscules bestioles incultes et profanes, sous la coupole calibrée à l’aune de l’ego de certains membres qui lui font l’honneur de leur présence tous les lundis après-midi. Longeant le mur, ils rejoignent la petite porte de la rue de Seine. La clé de Londubat père pénètre la serrure, et dans un déhanchement lubrique ouvre la porte qui cède dans un râle éloquent. Mon petit Bill, on se calme. D’accord deux charmants spécimens d’un sexe qui n’est le tien sont collés à tes basques depuis une heure, mais de là à spéculer sur la jouissance des portes sous l’action d’une clé, ça relève de la douche froide. Le stress. Admettons.

Dehors. Il fait doux. Ce soir, le Léonard dormira sur le sol américain.    

 

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