Chapitre 9




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Tu gravis l’escalier devant lui, embêtée de lui proposer sur deux étages et trente neuf marches le moins bon côté de ton profil. Tu ne sais pas qu’il ne t’en veut pas, il est envoûté par ce roulis enivrant qui chaloupe sous ses yeux.
Tu n’as pas refermé la porte que déjà ses mains enserrent ta taille. Avec une agilité et une douceur surprenante pour son gabarit, il te déshabille et te fait l’amour, là, comme ça, debout dans l’entrée. Il a raison. Tout le monde n’attend que ça. Quand on tortille les doigts, quand on tourne autour du pot, on s’embourbe dans une confusion frustrante.
Le calme après la bataille. Une cigarette aux lèvres, nue, tu déambules dans la pièce, à la recherche d’un petit encas. Tu jubiles, tu rayonnes, tu l’as enfin contre toi. Durant ce moment, après l’amour, où la mer des sensations est d’huile, où l’hormonal est à marée basse, où le trépignement de la vie est un instant suspendu, où l’apaisement des sens est presque palpable, vous causez. Le babil tournicote  un instant autour du tout et du rien, lui allongé, toi à genou à côté de lui. Tu lui caresses sa poitrine presque glabre comme tu passerais ta main sur le sable chaud d’une plage riante quelque part dans le sud.
-      Je me demande souvent si l’on peut mesurer la supériorité d’un individu sur un autre à l’aune de leurs cultures respectives ? questionne Tomas.
Ce type est divinement dingue. Sans prévenir, il démarre une discussion complètement déphasée avec le moment, l’ambiance. Tu montes à bord, tu le suis dans ses divagations.
-       Il existe des tas de tordus très cultivés… Science sans conscience… Rétorques-tu pendant que tu mignardes son ventre plat.
-       Exactement. Puisqu’on aime comparer, il faut mesurer. Compter les sous, c’est facile et rationnel. La supériorité financière prime et définit la position sociale. Mais la morale gêne, elle pose un problème, d’équité, de justice. Ca énerve les riches de se sentir coupables, alors ils appellent la religion, qui créer des lois immuables puisque divines, on peut alors piller, l’esprit serein, l’or des Amériques, les sauvages ne sont pas des fils de Dieu. Pause. Tomas sent sa respiration s’accélérer et des fourmillements lui venir dans le creux de l’aine au fur et à mesure que tes mains descendent vers le bas de son ventre.
-      Je me sens supérieur à la ménagère de moins de cinquante ans qui regarde un jeu télévisé abêtissant dit-il quand même. Parce que j’ai conscience de l’abrutissement intellectuel que ce jeu représente, et je le refuse.
-      Et pourquoi pas elle ? On peut regarder une ânerie sans être dupe, répliques-tu en sentant les mains de Tomas voleter tout autour de ton corps.
-       Non. Pas si on regarde chaque soir. Parce qu’alors ne pas être dupe, comme tu dis, constitue l’excuse, le joker. Je m’abrutis, mais je le sais, alors tout va bien. Beaucoup de gens, j’en suis sûr, ne réfléchissent plus au sens de leur vie, ne se posent pas de questions existentielles.
Tomas parle avec difficulté, toi, toujours à genou à côté de lui, tu es maintenant arrivée au bout de la carte physiologique du tendre. Par de petits baisers secs tu cernes ta proie, tes mains courantes, chevau-légers, en avant garde.
-      D’accord tu es supérieur. Intellectuellement. Mais ta ménagère est peut-être une femme formidable, quelqu’un de bon. Est-elle inférieure à un magnat de la publicité, qui sciemment asservit et abêtit les gens pour leur fourguer quelque chose dont ils n’ont pas besoin ? Quid de l’intelligence de l’âme, de la sensibilité ?
-      Quelqu’un de bon ? Je crois que personne ne fait rien gratuitement. Tout est calcul. Le mythe du bon sauvage a fait long feu.
Il respire difficilement, la chaleur de ta bouche l’envahit. Il continue néanmoins, ses mains griffant doucement ton dos courbé.
-      Mère Térésa par exemple, qui sait si elle n’a pas suivi ce parcours pour pouvoir se regarder dans une glace le matin ? Je veux dire pour pouvoir accepter qu’elle est humaine. On peut voir tous les saints de toutes les religions comme des forçats de l’ego. Je suis bon, donc je suis. C’est un système de récompense bien plus subtil que l’argent ou le pouvoir, n’empêche, ça reste un donnant donnant. Récompense dans l’au-delà ou ici-bas, rien n’est fait gratuitement, jamais. Même le sacrifice de la mère pour ses petits en danger, n’est qu’un instinct. Rien de grand là dedans. La dictature des gènes. Point. La Nature, Dieu, le Diable sans doute, a verrouillé le système.
-      Il est noir mon cœur ce soir. On peut répondre que l’évolution ne sait pas où elle mène son monde. Elle le laisse se transformer au gré du hasard. Elle progresse grâce à ses erreurs, rien n’est donc verrouillé. Le hasard et la nécessité, Jacques Monod.
Tu dis cela en ponctuant chaque phrase d’un silence dont Tomas ne devine que trop bien l’origine. Sentant qu’il est sur le point de se mettre aux abonnés absents, tu abandonnes ta caresse, et reviens plonger tes yeux dans les siens. Se reprenant, Tomas, te retournant sur le dos prend l’initiative et tes seins dans sa bouche. Il peut quand même argumenter :
-      Raisonnement en abîme. Le hasard lui-même fait partie intégrante de l’équation. No escape… Big Brother’s watching.
La langue de Tomas parcourent les courbes certes peu escarpées, mais douces et harmonieuses de tes seins. Il joue. A partir du cou, il serpente dans la vallée de ton sternum, et gravit à droite ou à gauche une des collines pour en gober le sommet. Ses mains sont parties en éclaireur vers le ventre rond et ses vallonnements troublants.
-      … Et l’amour ? Ta réponse part dans un souffle, la bouche de Tomas sur tes seins, ses mains qui explorent ton ventre ont jeté un voile sur tes yeux, et jeté un brouillard opaque sur tes idées.
-       On peut, tu as raison, pour survivre, considérer qu’il y a des trous dans le filet. Que l’Amour désintéressé existe, et qu’il est inexplicable, hors du système. Mais admet que ces amours irrationnelles et sublimes sont rares. Que la majorité d’entre elles ne sont que des leurres qui masquent le conformisme adolescent de la plupart d’entre nous. En ce sens, les amours homosexuelles me semblent plus nobles, elles ont une authenticité acquise du fait même qu’elles vont à contre-courant de la dictature du plus grand nombre.
-      T’as essayé ? Susurres-tu.
La langue de Tomas erre derrière ton oreille, et descend bien plus qu’il n’est raisonnable en direction, et même au-delà, de ton nombril et te baigne d’une ambiance humide et chaude particulièrement lascive.
-      Quoi ? Demande Tomas en levant la tête d’entre tes jambes, quittant un instant le mihrab de sa religion épicurienne.
-      L’homosexualité.
-      Non. Physiquement ça me révulse.
Visiblement l’exploration des moindres recoins de ton corps ne lui procure pas ce type de sensations. Dans un mouvement souple, il te retourne sur le ventre. Tu articules avec peine :
-      Tu ne sais pas, donc !
-      D’accord, rationnellement tu as raison. Mais j’ai le droit de ne pas être rationnel, d’avoir des pulsions et répulsions ?
-      Des pulsions surtout, murmures-tu.
Les mouvements de vos deux corps sont maintenant synchrones. On aurait aimé entendre les digressions et commentaires de Tomas sur la grande sensibilité, prétendue ou non, des homosexuels, sur Cocteau, Proust, Gide. Pense t’il que l’amour est sylleptique ? Marie sait-elle ce que sylleptique veut dire ? Le dialogue malheureusement devient beaucoup plus figuratif et rapidement inaudible. Changeons de chapitre, on était dans l’érotisme, on tourne au voyeurisme.

 
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