Chapitre 11



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Le temps s’est écoulé qui cicatrise tout, mais qui ne guérit rien.
Toutes ces émotions, ce sang, ces émanations putrescibles des organismes sollicités dans cette histoire sont maintenant figés en noir et blanc dans un rapport dactylographié au style administratif et sec, quelque part dans un classeur d’archives. Bill est reparti vivre à Washington, dans une des innombrables administrations qui se bousculent au cœur de cette ville-état.
Tout le monde a vieilli. Quelques-uns ont procrée. D’autres ont refusé le racket à l’hormone et le regrettent maintenant, ombres solitaires du paysage urbain.
Garance s’est emmurée un peu plus dans le silence de sa vie. Les minuscules feux qu’elle a tentés d’allumer dans son cœur ne sont plus que cendres dans un paysage d’hiver. Elle a continué longtemps à consommer des hommes, sans jamais ressentir, même mal, même peu, cette flamme chaude, cette accélération du cœur.
Elle est trop seule, et n’approchera jamais les rivages souriant de l’amour. Jamais de plans, d’échafaudages, d’efforts pour construire les fondations d’une famille. Certains sont heureux de cette vie. Pas elle. Elle vit avec ses regrets chevillés au corps, elle qui hait les regrets, qui hait en général tout ce qui secoue sa gangue de froideur impassible qu’elle s’est imposée depuis toujours. La haine, la passion, l’espoir, la compassion, tout est conjugué dans sa matière vraiment grise à la forme négative. Ne pas ressentir, ne pas souffrir. Comme dans l’enfance. Aucune relation humaine ne la retient longtemps car dès qu’elle sent les prémices du bien-être, ce fameux miel dans les veines, une alarme retentit. Les autres se lassent. Seuls des amis d’enfance pourraient plonger pour la remonter à la surface. Mais elle n’en a pas. La seule aventure de sa vie a conduit à la mort de sa grand-mère, qu’elle n’aimait guère d’ailleurs.
Elle s’est lancée dans la politique où son intelligence, sa sécheresse d’âme et sa froideur calculatrice font merveille, petit Machiavel en jupon. Elle a gravi les échelons en assassinant à droite à gauche tous ceux qui se sont approchés d’elle, après avoir profité de la courte échelle que généreusement ils lui tendirent. Elle est Goupil, le monde pour elle n’est peuplé que d’Ysengrins besogneux qu’il faut bien plumer et humilier tellement scandaleuses lui apparaissent leur confiance benoîte et leur candeur imbécile.
Cette méchanceté déclarée, cependant, la fera trébucher, puis sombrer. Une de ses victimes ayant par hasard croisé le dossier du vol du Léonard, assassinera avec un certain plaisir Garance alors en plein essor vers les sommets de l’Etat. Elle n’aura le temps que de déployer un rudimentaire parachute qui lui permettra de garder un emploi de rameur dans la soute. Elle sera alors définitivement flétrie, fanée, asséchée.
Manque d’ocytocine paraît-il.
L’hormone des câlins.
 
 


 
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