Chapitre 7




                             22


 

En conduisant, Garance se demande ce qui cloche. Sa grand-mère ne ressemble pas à ses congénères des spots télévisés, lisses, proprettes, complices, mutines, un rien délurées, comme aiment à les imaginer quelques jeunes cons sous cocaïne pour stimuler les passions dépensières assoupies de nos ménagères pré-ménopausées. Toutes les âneries, agglomérées en concepts vaseux, sont bonnes pour vendre la sauce à un directeur du marketing étranglé par sa cravate et son prêt foncier sur quinze ans. Le bon sens des campagnes, la sagesse des dictons, la rassurante image de ces rides qui exsudent un calme existentiel.

Alors ? Pourquoi, soudainement, mémé l’avait-elle appelée pour un week-end à la campagne ? Elle qui hurlait toujours au téléphone, pas trop confiante dans la physique des ondes et voulant donner toutes ses chances au message d’arriver jusqu’à Paris, elle qui en fait se tenait le plus éloignée possible de ce mécanisme insolent, bruyant et impétueux, qui, vous vous rendez compte, la sifflait jusqu’à y’à pas d’heure, comme une soubrette mal dégrossie. Cette mémé là l’a appelée, comme ça, au débotté, pour lui proposer une petite escapade en Mayenne. C’est comme si elle lui avait proposé un joint. Escapade ? Pas dans son vocable. Elle était même sortie de sa tessiture, c’était sur joué, artificiel. Mais quoi ? Et puis Bill et Amélie. Elle a insisté pour les avoir aussi, bien sûr, ils prendront la chambre bleue.

Avait-elle lue, chez Denise sa coiffeuse, un article sur les nouvelles grands-mères ? Mmm. Elle a en horreur ces magazines amphigouriques qui ne dégoisent que sur des sujets abscons pour qui ne regarde pas la télévision, constamment obnubilés par les affres sexuelles de la coqueluche du moment et de ses affidés.

La mémé n’a pas déraillé. Elle a simplement appris, devant un marc de Savoie avec son vieil ami Dédé, que la DST recherche sa fille et ses comparses pour le vol d’un tableau à l’Institut de France. Rien que ça. La nouvelle l’a laissée un moment flageolante, petit paquet d’étoffe emportée sur la mer déchaînée de ses pensées bouillonnantes, ne répondant plus à son Dédé que par des hochements de tête incertains.

Puis elle a décidé, petite tortue raidissant son maigre cou et reprenant les rennes de ses mains tremblotantes, qu’il faut, comme en quarante, faire « quelque chose », récupérer elle-même le document. Ils complotent alors tous les deux, redevenus dans cette heure grave Joséphine et Bonaparte, leur nom de code pendant la guerre. Excités comme des enfants qui s’apprêtent à en faire une salée, ils mettent sur pied un plan de défense de la famille Londubat. Il faut faire venir ces voyous - si Dédé, Garance est une fille perdue, elle respecte rien, ni personne - avec le manuscrit, et le soustraire à leurs pulsions vénales. Le plan est sommaire, où il est question de somnifère et pas grand chose d’autre. Si l’on en croit les types de Paris, Bill l’Américain devrait venir avec l’objet convoité, ayant maintenant des inquiétudes à le laisser à l’ambassade ou même chez lui. On remet le Léonard à sa place, ni vu ni connu.

Bill à côté de Garance, émet quelques borborygmes en américains, ce qui ne facilite pas l’interprétation. Nous l’avons vu, Garance contrairement à son amie qui dormait à l’arrière de la voiture, a une connaissance minimale de l’anglais. Ils avaient décidé, pour une fois d’une même voix, qu’un week-end à la campagne ne pouvait pas nuire.

Ils n’avaient pu, malheureusement, déposer leur précieux larcin à la rédaction du journal coopté pour répandre la nouvelle, aucun individu présent n’étalant un titre et un poste suffisamment glorieux pour mériter leur confiance. Le directeur de la rédaction n’était pas disponible.  

La voiture décélère, sortant de la jambe de pantalon rayée de l’autoroute pour grimper le long d’une bretelle d’accès à un stand de ravitaillement où de nombreux pilotes gavent consciencieusement leur engin avec une sorte de cathéter rentré jusqu’à la garde dans l’orifice d’alimentation du véhicule, qui, telle une oie, n’en pouvait mais.

Garance bifurque jusqu’au magasin aux couleurs de la multinationale qui vend le pétrole qui n’a pas débordé sur les côtes bretonnes durant son rapatriement du continent africain. Elle abandonne Bill, ne sachant pas comment lui traduire qu’il peut aller pisser et boire un coup.

L’odeur de citron ammoniaqué ou plutôt d’ammoniaque citronnée, épandue jusqu’à la saturation pour expliquer en langage des odeurs que, malgré que vous soyez en France, les toilettes sont propres, les bactéries traquées, les germes pourchassés avec les technologies les plus modernes, l’odeur la prend par les naseaux comme un bouvier qui amène son bœuf au marché. Oyez ! Oyez ! Voyageurs, le sol de cet endroit est pasteurisé comme un fromage de grande surface, vous pouvez manger dessus, y faire l’amour, c’est aseptique, débarrassé de la moindre merdouille.

Garance entre dans une cabine étincelante de carrelage blanc pour y déverser quelques centaines de millilitres d’urine stérile, qui s’écoulent directement dans une cuvette vraisemblablement remplie de soude caustique, si bien que, ouf et ouf, la chaîne du propre n’est pas rompue. Elle se hâte néanmoins de sortir de cette ambiance carcérale saturée de sécurité, où l’absence de caméra la surprend presque.

Dans les toilettes pour hommes, deux armoires à glace se libèrent également de tout un tas de sels minéraux, molécules organiques diverses et aussi d’albumine. Ils sont jumeaux et souffrent tous deux d’une légère insuffisance rénale. Rien de grave, une tendance diabétique à surveiller simplement.

De concert, ils maculent l’urinoir, et même un peu autour, se réajustent, et sortent en rotant, à l’instar de célèbres marins. Nous les avons reconnus ce sont nos deux barbouzes aux surnoms de rongeur. Ils suivent Garance et surtout Bill. Au moment où ils allaient faire craquer leurs phalanges devant le nabot verdâtre de terreur, ils s’étaient aperçus que l’oiseau s’était envolé. X251 les avait joints pour les prévenir qu’il y avait du nouveau, le ministère de la culture jouait la partition en solo, et essayait de récupérer son bien par ses propres moyens. Bill était parti au vert pour sans doute monnayer le Léonard chez une ancienne du ministère qui s’avérait être la grand-mère de Garance… C’est pas grave, les gars, je vous expliquerai plus tard.

Il avait alors détaillé toutes les caractéristiques du véhicule à  traquer, ainsi que sa localisation et direction approximatives. Ils avaient rattrapé Garance quelque part sur l’autoroute et la suivait depuis un moment.


 

22


 



Chapitre 1


Chapitre 2

page 7
page 8
page 9



Chapitre 3

page 10
page 11
page 12



Chapitre 4

page 13
page 14



Chapitre 5

page 15
page 16
page 17

 

Chapitre 6

page 1
page 2
page 3
page 4


Chapitre 7

page 1
page 2
page 3




Chapitre 8

page 1
page 2
page 3




Chapitre 9

page 1
page 2
page 3



Chapitre 10

page 1
page 2
page 3


Chapitre 11

Page 1