Des dunes et des ocres

  Catherine Estrade

 
       

                18


           Touareg 

 

Il me parle, je vois ses yeux. Leur lumière dorée me gène. Mes paupières fuient et je tourne la tête.

J’ai vu dans son iris éclatant la poussière d’or des limons incertains. J’ai vu la route guidée par l’étoile et le vent. J’ai vu mon âme éternelle, irisée d’anciens chants de Tendé.

J’ai entendu les paroles, le soir prés du feu, interminablement roulées par le souffle du désert.

Sa fierté de guerrier égaré s’affole encore dans le geste de ses mains. Ses doigts tirent et étirent, dans une danse initiatique , le voile bleu de sa tagelmust. Sa bouche se découvre et se pare à nouveau. Son visage s’efface derrière l’indigo. Il n’y a plus que son regard.

Je me vide et quelque chose de vif, quelque chose de douleur et de joie fait mourir les mots sur ma langue. J’ai touché un fragment de mystère. Je me suis brûlée à sa vérité.

 

Depuis toujours, ils parcouraient les regs et les sables. Cette terre aride, compagne versatile, ils l’avaient apprivoisée.

Un jour, alors que le vent balayait inlassablement le ciel, le silence se brisa.

Des portes qui claquent.

Kel Aïr, Kel Ahaggar, Kel Ajjer, Ioumelliden, le temps étaient venu d’interrompre la marche.

Des hommes puissants et assoiffés envahissaient les chemins sacrés. Ils faisaient craquer l’espace du fracas fouettant de leurs fusils.

Sous le manteau de laine, les Touaregs affûtèrent leurs Takoubas. Pour la liberté, pour l’honneur, le combat commençait.

Tracé carré, crayon sourd, avant de partir, les intrus partagèrent le monde. Coupés, sectionnés, mutilés, les hommes bleus se perdaient entre les lignes aléatoires.

Les maîtres avaient changé. Les revanches anciennes imposaient des contours énigmatiques.

Mais le vent n’a de limites que les siennes…

Certains suivirent la route de la Teshumara. Là-bas un colonel rusé fit des promesses insensées. L’indigo éternel fondait sous l’arrogance du kaki. La kalachnikov éclipsait l’épée plate.

Ils revenaient gonflés d’autres espérances.

 

Tchin Tabaraden, Tillia.
Des corps pourrissent au soleil.
Des femmes et des enfants s'agrippent encore dans un dernier geste d'amour.
La mort a gravé sur le sable des lettres rouges.

Les batailles vengeresses, les promesses faussées. Certitude: les derniers chevaliers se meurent.
Les combats répétés, sanglante évidence de la haine. 
Les poètes bleus étouffent entre les barreaux serrés d'une liberté tronquée, trompée.

Quelque chose s'est brisé. La quête se suspend entre la peur et l'ignorance.

Je laisserai mes rêves emplir mes nuits au risque de m'enfouir sous les vestiges arides d'une vérité broyée.



 

 

Il se lève et s'éloigne. Noble et solennel, il marche sur les pas inconnus de ses pères.

Il revient vers les batailles perdues, les sécheresses répétées. Il retrouve la solitude silencieuse et complice.

Plus loin, là où le ciel se colle à la roche, des Tifinagh sculptés lui rappellent le temps où l'espace n'avait pas de limites, où chaque mouvement était le sien.

Il rêve à la tente maternelle qui le protégeait des Kel Essuf.

Il regrette.

Il crie qu'on le laisse à sa déraison nomade.
Et la révolte enrage. Il reconnaît en elle les combats répétés d'autrefois.
Il se réveille.
Il sera le dernier .