La chronique de Emmanuel Normant                         
      




                  Marine Le Pen est élue présidente de la république


 
 Ça fout la trouille, hein ?
Je revis en ce moment une campagne électorale dans laquelle la grosse cata - the elephant in the room – est soigneusement poussée sous le tapis. C’est une cour de récréation ou des gosses se chamaillent sans remarquer cette ombre brune qui les enveloppent tous.
Ouais, ben, je voudrais t’y voir (nan, en fait, je voudrais pas), moi, la bêtise crasse, la droite « décomplexée » au pouvoir, je vois de près. Live. Et c’est pas beau.
 
De Paris à New York, on dirait que tous les acteurs ont peur de le dire, de l’écrire noir sur blanc, les mecs, on a l’extrême droite aux portes du pouvoir, et tout le monde trouve ça ok. Moi, non. Certes la fille du père, elle dé-diabolise à tout va, on dirait ma Dona Flore sur mon deck, quand elle s’épouille. Nan, on avait dit, on disait plus youpin, on disait de confession juive.
Peut-être la peur de l’effet boomerang.
Il est surprenant, En tout cas, de voir la similitude entre l’approche du New York Times en octobre et du Monde aujourd’hui à propos de la possible arrivée au pouvoir d’un monstre. Le New York Time n’a jamais discuté, jamais envisagé un Trump à la Maison Blanche. Je l’ai dit, c’était, l’an dernier, tout simplement impossible. Inconcevable. Mais ici comme ailleurs, on vote comme papa, comme maman, comme le boucher, comme tout le monde, et aussi souvent contre. L’électeur est un caméléon, et l’homme un mouton. Ils ont voté ici beaucoup, nan, vraiment, contre Hilary, ils ont voté républicains, le nominé est un peu orange, étrange, d’accord, mais il est républicain avant tout. On a le droit, j’ai le droit – c’est moi qui cause – de croire que en 2017, en France, Le Pen au pouvoir est encore une insanité. La terre des cimetières des victimes de la folie du siècle passé commence à sécher sérieusement. On est prêt pour un match retour ?
Tous ces anti-europe, ces anti-je-sais-pas-quoi, ces essayons-autre-chose m’énervent. Ces il-faut-redresser-la-France, elle va mal, aussi. On doit pas voir la même. Moi, la France je la vois de loin, d’accord, je gomme les aspérités, d’accord y’a des problèmes. Mais des problèmes, y’en a partout. Et si on regarde le système de santé, de transport, d’éducation, de retraite, de recherche scientifique (j’ai bien dit : de recherche scientifique) la France elle met une volée à pas mal de pays, y compris celui dans duquel que j’cause. Il faut sans doute sortir déyor, pour mieux voir. Sans doute.
 La démocratie, c’est comme l’Europe, c’est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres, comme disait mon ami Winston. Donald Trump va aider les mineurs de West Virginia ? Le Pen va aider les anciens mineurs de la rust belt à la française ?  Putain, les mecs, y fument quoi ?
 Oohh, je suis colère.
Je te mets la bande son : J’écris tout ça avec la musique du film « Le Dernier des Mohicans » dans les oreilles, une musique entêtante, nasillarde comme un fifre irlandais, inexorable, brutale comme la conquête de l’ouest et le génocide des indiens. Ça va bien. Mais voilà que je m’énerve, je n’ai même pas le droit de voter ici, et l’idée de devenir un US citizen, becomes, go figure, less and less palatable.
 
Mais revenons au thème du jour. Deux carreaux de la marge, stylo rouge, on souligne :
Et une Marine Le Pen à l’Elysée ? Ça donnerait quoi ?
On n’en sait rien, le palais de l’Elysée a vu passé un paquet de dingues, un gouvernement français a envoyé des trains entiers de juifs à la mort, mais jamais le peuple français n’a osé passer ce Rubicon politique.
On peut prendre des éléments de ce qu’il se passe ici et transposer. Transposons.
Le gouvernement : Dans les deux cas, les leaders ne sont pas des chefs de partis, ce sont des chefs de famille. Trump a dirigé son empire immobilier comme un parrain de la mafia, avec qui il a de nombreux liens. A la Maison Blanche la loyauté au chef a beaucoup plus d’importance que la compétence. D’où une suite lesbrasmentombesque de gaffes, de faux départs, de conneries, expliquées par un roquet durant des conférences de presse dont Le New York Time, le Los Angeles Time et Politico (rien que ça) ont tout simplement été exclus. La fille, le beau-fils et d’autres sont maintenant au cœur du système.   
 
Marine Le Pen ? Sans doute quelque chose de semblable. Papa Jean-Marie aux anciens combattants ? (ahah, rire fatigué). Robert Ménard au ministère du mur. Hm, un nouveau truc, on construit un mur au milieu de la méditerranée, ah, ça, ça va couter un bras. Mais, si Donald a raison, ça devrait régler le problème. Des nègres, le problème des nègres qui viennent jusque dans nos bras égorger nos fils et nos compagnes.
Une différence significative, deux même : Trump ne parle qu’aux militaires et aux milliardaires. Récemment, plutôt aux premiers, 59 tomahawks en quelques heures, pour un isolationniste, anti-interventionniste, pas mal. Il vient, comme je parle, de ramener un porte-avions avec deux destroyers lanceurs de trucs qui tuent dans la mer du Japon, côté Corée du Nord. Trump il aime la bataille navale, les petits soldats. Mais il a 600 milliards, Marine Le Pen, elle le Charles de Gaule, qui prend un peu l’eau, bon, quelques mirages 2000, d’accord. Mais je crois pas que ça la branche trop, les petits soldats. Aucun rapport avec les bougnoules qu’il faut virer, aucun intérêt.
 
Trump a trouvé son éminence grise, son Raspoutine, un malade qui penche pas mal du côté des white supremacists. Marine, elle a pas ça sous le coude. L’Amérique est violente, c’est dans son génome, les extrêmes français sont – heureusement – à des années lumières de cette haine folle, froide, toujours inimaginable pour moi, après 20 années passées ici, des KKK du sud. Mais un ex-GUD, négationniste comme secrétaire de l’Elysée et un banquier russe aux affaires étrangères, ça devrait le faire.
 
Il est en effet un autre parallèle fascinant, la quasi idolâtrie pour Poutine, de Trump, Fillon, Le Pen. Un homme qui représente l’idée d’une politique musclée, chrétienne, qui ne s’embarrasse pas des complexités démocratiques.
Le Pen, le père, a quelque chose de plus proche de Trump, deux vieux blancs, racistes, l’un persuadé de sa croisade pour une France qui n’existe que dans ses fantasmes, l’autre totalement obnubilé par l’argent, tous les deux ego maniaques. La fille est sans doute différente, elle veut le pouvoir. Alors que Trump le 8 novembre, comme Le Pen le 22 avril 2002, a du faire pipi dans sa culotte.
 
Et puis nous ? On va faire quoi, nous ? Les américains bougent - le système fédéral, et la séparation de la justice fonctionne plutôt bien -, le muslim ban flotte dans l’éther du système judiciaire, l’Obamacare est loin d’être révoqué. Quelqu’un a dit que l’élection de Trump est un test – live – de la résilience de la démocratie américaine. On va voir.
 Et nous ?
 Nous ? nan nan nan, on va pas s’embrasser. On va aller voter