La Chronique d'Emmanuel Normant   
 


            
            Pornographie



 
Tout récemment mon éditeur, je t’ai parlé de mon éditeur j’espère, un garçon charmant, un peu dans la lune, qui s’est, semble-t-il, trompé de dossier quand il m’a proposé de publier mon livre. Notre livre. Ton livre, d’accord.
Mon éditeur, donc, m’a surpris à deux heures du matin, me lançant tout à trac, pendant que tes grands yeux noirs s’évaporaient lentement dans le courant d’air de mon ventilateur :
- Tu sais Emmanuel (on se tutoie, on est cool), tu sais Emmanuel, j’aime ton truc, son truc à elle, oui, mais ça manque cruellement de sexe, qu’est-ce que tu en penses ?
- J’en pense, Charles, qu’à moins d’un spasme violent et nocturne des plaques tectoniques qui séparent ton bureau de mon lit, il y a toujours 6 heures de décalage entre Paris et Boston.
Et j’ai raccroché. Le tutoiement je veux bien, le laisser-aller, la chienlit, pas question. C’est qui l’artiste, bordel, et d’ailleurs, ne m’avait-on pas promis de la considération ?
Je l’ai rappelé, il s’est excusé, c’est un garçon affable, n’en disconvenons pas.
- Il nous faudrait une chronique rien que sur le sexe, continua-t-il, obtus.  Du début à la fin. Une chronique X en quelques sorte, tu ranges tes litotes, tes oxymores, tes métaphores, et tu parles de cul. De bites aussi. Des grosses.
- D’accord, répondais-je, mais ça ne va pas être commode, je ne vends pas mes salades à des analphabètes. Je parle à des gens éduqués, des types qui lisent le Monde dans le texte. Si tu me jures que je vais booster les ventes d’au moins vingt pourcents, je m’y mets. Aujourd’hui. J’appelle au labo, non, je ne peux pas, c'est-à-dire, voilà, je suis malade, sick, un sick day, tu m’enlèves les mots de la bouche.
J’ai donc écrit, sous une pression énorme, du rendement du rendement, je me demande si j’ai bien fait de proposer mon texte à ce maquereau.
Aucune étincelle brillante n’ayant traversé mon cerveau pendant les quatre premières heures de concentration, je décidais de me lever pour aller faire pipi. En revenant, je parcourais quelques-unes des chroniques qui bientôt trôneraient, m’avait-on promis, en tête de gondole à Auchan, le best-seller qui fait rire la France, et je tombais par hasard sur une vieille histoire de plombier, qui, c’était une piste, parlait de cul, de fesses au moins.
J’ai donc – à tout hasard - repris cette histoire idiote ou je comparais, il t’en souvient peut être,  mon plombier a un extraterrestre découvrant les tenants et aboutissants de l’acte sexuel.
 
Gurb ? Appelle-t-il à l’intérieur de sa tête, branche moi le dialecte local, je ne comprends rien. Et sors-moi une carte du Maimachaussette. Hum ? Massachusetts, oui.  Je suis qui, tu dis ? Dominic Tango, salle de bain, rénovation et installation. C’est haut de gamme ça ?
Accoudé à un bar de relai routier, Dominic cerne sur son radar un animal du cru qui lui fait un effet qu’il ne connaissait pas, un effet bœuf.
- Dick, vérifie mes circuits je ne comprends pas pourquoi le cœur s’emballe, et puis j’ai un truc qui a durci vers le bas, non plus bas, là. Tu vois ?
- Holà, Gurb, mes jambes remuent, et je « bonjour mademoiselle, je vous offre un verre ». Laisse, ne touche à rien, c’est extrêmement agréable. Tiens dégage, t’as quartier libre. Pour une fois qu’on tombe sur un truc marrant.
Dominic Tango fait le joli cœur face à Carlotta, une jeune Biélorusse qui vend un corps qu’elle a superbe sur  les parkings  déprimant d’une autoroute qui n’en finit pas de finir.
- C’est 60 dollars, répond Carlotta.
Dominic est en commande manuelle, et n’a pas accès à toutes ses bases de données. Il ne connaît pas les principes physiologiques de l’amour, encore moins la partie marchande et le système d’émolument qui, semble-t-il, relie un nombre de petits feuillets verts – qui ont l’air d’intéresser énormément Carlotta – à sa disponibilité. On dirait que le nombre de ces feuillets est inversement proportionnel à la taille des tissus qui revêtent Carlotta, elle-même inversement proportionnelle à son rythme cardiaque et à la taille du truc entre ses jambes.
- Ça c’est élaboré, reconnaît-il, nu dans une chambre de motel, Carlotta en petite tenue à côté de lui. Zlork n’a aucune idée du fonctionnement et de l’utilité de cette sarabande, mais c’est extrêmement plaisant et ludique. Il note tout ça dans un coin de sa tête, espérant en glaner plus sur cet inédit moyen de communication. 
Particulièrement ce pendouillis d’organes entre ses jambes auquel il n’avait prêté qu’une vague attention, et qui présentement se dressait tout seul trompant toutes les lois de la gravité supposées régir cette petite boule bleue. La chose grandissait et pointait maintenant devant lui, légèrement incurvée. La créature en face de lui n’avait rien de telle entre les jambes, mais possédait plutôt deux protubérances au milieu du corps qui pointaient elles aussi droit devant. Son petit précis stipulait bien que la création de nouveaux individus passait par une « reproduction sexuée » sensée mettre en scène un individu mâle et un femelle. La plaquette expliquant le phénomène mentionnait l’introduction d’un membre de petite taille du mâle dans un trou située dans la femelle. Le manuel s’arrêtait là, c’était assez excitant, on approchait des limites du connu, des frontières de la science.
Je sens qu’on va faire des progrès, murmura Glork. Si je n’obtiens pas la chair de Professeur en Extraterrestrologie, ce sera bien la preuve définitive que Korlk ne peut pas me saquer et que cette baraque n’est que népotisme et compagnie.
Mais je vais lui pourrir la vie à Klork.
La dernière fois que Glork avait rencontré le professeur Klork, il était occupé à poignasser un petit four au Klug, rien d’anormal, on était à une réception de l’université, mais également l’organe sexuelle de Mlak, la fille de Klork, ce qui avait compromis, il l’avait bien senti, ses chances de se voir jamais promu Professeur.
Il farfouilla dans ses dictionnaires à la recherche de la dénomination la plus commune du membre introducteur et du trou introduit. Il nota le nombre impressionnant de substantifs qui désignaient cette partie de l’anatomie, autre preuve que cette histoire de reproduction tarabustait énormément les gens d’ici. Par exemple, un autre membre d’une dimension modeste certes, mais terriblement alerte, mobile, humide, rose, déjà installée dans une cavité elle aussi humide et rose ne portait qu’une et une seule dénomination. Alors que la bite – il avait choisi le premier de la liste alphabétique -  était connue sous au moins une dizaine de pseudonymes plus ou moins explicites.
Il s’avança vers la jeune fille en se demandant de quel trou il pouvait bien être question. Il en avait dénombré un nombre conséquent tous situés sur la tête. Encore ne comptait-il pas les yeux, ça devait être surement douloureux d’enfoncer une bite dans un œil. Douleur qui ne collait pas avec l’excitation de la jeune femme. L’acte devait procurer un certain plaisir, une récompense. Il avait déjà entendu parlé d’un système équivalent sur une autre planète, où les organisateurs avaient intelligemment inséré dans chaque individu un processus de récompense qui relâchait dans l’organisme des petites bouffées de bien être après que celui-ci se fut acquitté d’un acte essentiel pour la communauté, se reproduire par exemple. Cette récompense endogène, c’était une constante de la sociologie à travers le cosmos, était au moins aussi efficace que l’exogène, l’argent par exemple.
Il pressentait que dans ce système sexuel binaire, un homme, une femme, le trou en question se devait, afin d’éviter toute confusion fâcheuse, d’être un attribut spécifiquement féminin. Donc la bouche les oreilles et les narines, quoiqu’à ne pas écarter définitivement, ne se présentaient pas comme les alternatives les plus vraisemblables.
Après tout se dit-il, on va laisser la demoiselle faire, elle doit bien avoir une idée.
Effectivement Carlotta enlevait toutes les couches de tissus qui l’enveloppaient avec une urgence que rien ne pouvait rationnellement expliquer. On avance estima Glork. Une fois entièrement nue, il est à espérer que ce maudit trou sautera aux yeux comme le nez au milieu de la figure. Malheureusement, alors que l’effeuillage arrivait à son terme, l’énigme ne s’éclaircissait pas trop. Quelques pistes incertaines : au milieu du tronc un bouton qui retenait le ventre et semblait diablement verrouillé de chair renfrognées et comme cousues sur elles même. A moins qu’un mécanisme surprenant ouvrît le nœud comme une lentille d’appareil photo à la seule vue d’une bite, il restait assez improbable de pouvoir passer par là. Vers le bas entre les jambes, il n’était pas impossible de pouvoir, mais rien de sûr, il faudrait qu’elle bascule en arrière, qu’elle ouvre les jambes, une situation très malcommode, un peu ridicule même.
Tout à ses pensées, il ne vit pas Carlotta s’approcher, se coller contre lui et enfourner violemment la langue dans sa bouche. Remis de l’agression, Glork eut un instant d’excitation intense : le manuel de Klork disait n’importe quoi !! Ce sont en fait les femelles qui pénètrent les mâles, en insérant leur langue dans leur bouche ! Quelle découverte ! Ca remettait tout en question ! Ce serait la première fois, dans un système sexuel binaire que l’actif ne serait pas le mal, le plus fort, le plus puissant et le plus con. Ce serait extraordinaire ! Un papier dans le fameux Journal of Extraterrestrology ! Il devrait même pouvoir faire la couverture du mensuel, s’il pouvait ramener des images de la langue en action. Il émit quelques sons, ce qui sembla décupler les activités gymniques de Carlotta. Elle avait retiré sa langue de sa bouche. Evidemment il y avait un problème de taille : comment une langue dans la bouche  pouvait elle participer à la procréation ? Encore que ce crétin de Klork n’ait jamais précisé comment une bite dans quelque trou que ce soit pouvait bien elle aussi promouvoir la création d’un nouvel individu. Quel con, ce Klork, résuma Glork, mais je vais le détruire, façon puzzle.
 
Tout à son excitation il avait fermé les yeux. Quand il les rouvrit, Carlotta n’était plus là. 
Si, elle était là, mais un peu plus bas, elle passait ses deux mains dans le bas de son dos et elle posait des lèvres sur son abdomen, qui, en réponse à ce stimulus gargouillait gentiment. Prend des notes, prend des notes murmura-t-il, le système est bien plus élaboré qu’un simple bâton qui entre dans un trou. Quel con ce Klork.
Carlotta avait maintenant  totalement déshabillé le bas de son corps et avait englouti son membre, sa bite, donc. Ah non, merde. C’était la bite dans la bouche ? Quelle déception. Klork aurait raison ? Tellement décevant, prévisible. La tête de Carlotta avançait et reculait comme une sorte de piston. Cette activité lui procura rapidement un chatouillis dans le bas du ventre. Ceci étant dit un autre crétin –était-ce Glirk ou Mlork - avait avancé l’idée que la bouche dans de nombreux systèmes anatomiques primaires était réservée à l’accumulation d’énergie, sans doute transférée à tout l’organisme par une sorte de turbine. Le nombre d’universitaires qui disaient des conneries énormes était sidérant.
 
Elle s’arrêta brusquement, lui sourit, refit le chemin à l’envers le léchant jusqu'à retrouver la bouche. Glork se remit à espérer : Ces premiers exercices ne pourraient représenter que des préliminaires, l’équivalent de la danse pré-coïtale, dont il avait déjà étudié le principe décrit par un collègue à propos d’un système ternaire ou trois sexes différents devaient se battre l’un l’autre, un truc compliqué, mais il se souvenait bien de la parade.
Tout n’était pas perdu.
Carlotta hésita un instant. Il lui sembla qu’elle attendait de lui qu’il prenne les choses en main. Mais toutes ces simagrées n’avaient pas dissipé les incertitudes relatives au trou. A court d’idées, il reproduisit le schéma de Carlotta. Il s’approcha d’elle, et passa maladroitement ses lèvres sur le haut de son corps, puis descendit, comme il l’avait vue faire, vers le ventre. Etonnamment elle commença à respirer plus fort, bascula la tête en arrière, tous les signes d’une sévère bolée de substances endogènes. Encouragé par ces réactions spontanées, et suivant l’exemple de Carlotta, il utilisa ses mains pour parcourir le dos pendant que son visage arrivait maintenant aux limites de l’espace vide entre les jambes.
S’il y a quelque chose ici je ne peux pas le rater, murmura Glork, complètement excité de se sentir à la pointe de la découverte, un explorateur, un grand pionnier de l’extraterrestologie, Mesdames et Messieurs, il y aura un avant et un après Glork.
Il ne put d’autant moins rater le quelque chose que Carlotta lui poussa la tête vers le bas en murmurant une espèce de chansonnette : lalavoilala. D’un coup sa langue qu’il avait sorti à tout hasard rencontra un point de moindre résistance, une sorte de feuillet qui cédait sous la pression. C’est donc la ! Bien sûr ! Un endroit caché, dans un  repli, protégé. Quelle espèce un peu responsable envisagerait d’exhiber à tous vents un organe aussi important ? 
On avançait sérieusement. Le Professeur Klork l’avait méchamment dans l’os, la compréhension du phénomène et  le papier dans Extraterrestology n’avait jamais été aussi proche. On savait avec quoi et sans doute où. Le comment résistait encore un peu, mais Carlotta, quelle gentille fille, apporta encore une solution à l’énigme. Elle s’allongea sur le dos, bascula légèrement en arrière, et écarta les jambes : tout s’éclairait, s’était simple comme bonjour, il fallait approcher le bassin vers, voilà, un peu plus, en avant et pousser dans la direction indiquée. Evidemment cette posture imposait qu’il s’allonge quasiment sur elle, et n’étant pas sur des résistances des tissus, des coutumes, et de son haleine, il resta cambré en arrière, pas très commode.   
Il avait enfoncé la bite donc jusqu’au bout, jusqu’à la garde. Il ne pouvait plus aller plus loin. Parfait. Il s’immobilisa un instant, espérant un nouvel halètement de Carlotta qui aurait indiqué que tout était au mieux, mais rien. Elle le regardait, les sourcils relevés, puis froncés. Tout était emboité comme il fallait mais il manquait visiblement quelque chose.
-  Ben qu’est ce qu’il a cuila ? S’étonna Carlotta.
Elle se mit, dans un soupir, à bouger du bassin de sorte que la bite sortait et entrait au rythme de ses mouvements. Alors seulement reprirent les gémissements tant espérés, sa tête se renversa, et, Dieu soit loué, les borborygmes reprirent, preuves sonores qu’on était sur la bonne voie. Entrainés dans le mouvement Glork se rapprocha, s’allongea presque sur elle. Elle lui planta alors ses ongles dans le dos et hurla presque un « putain mais baise moi » suivi d’un « Aaaah c’est bon ».
Les ongles s’enfonçaient, Glork avait un mal de chien, il devait saigner, c’est quoi cette méthode ?  Il était déçu que sa théorie de la faible femelle qui domine, qui pénètre s’évaporât dans ces cris d’orfraies quand monta de son ventre un frémissement qui descendant jusque dans les jambes le fit – à son insu – se cambrer de plus belle et lâcher quelque chose de mou dans le trou. Il se retira prestement, pencha la tête pour regarder, et alla farfouiller dans le trou à la recherche du truc mou, qui avait disparu, dissous ?
- Ah ben des dingues j’en ai vu, mais toi t’as la queue du Mickey. S’exclama Carlotta.
-  Ta gueule la pouff, un papier dans Extraterrestology ça se mérite.
Il farfouillait à l’intérieur de Carlotta pour récupérer ce liquide qui – il en était sur – était la clé du mystère, ce qui lui ouvrait les portes de l’académie. Mais Carlotta se retira souplement, et Glork remarqua que la bite était redevenue petite et flaccide. Hallucinant. Un système rétractable, une sorte de pompe qui éjecte effectivement dans un trou un liquide, et se rétracte après l’attaque. Beaucoup plus sophistiqué que toute autre méthode jamais rapportée d’aucune expédition dans la galaxie. De surcroit, le moment de l’éjection s’accompagnait d’une seringuée magistrale de ce produit endogène, et d’un étourdissement proprement divin, qui à lui seul, exigeait que l’on recommence dare-dare. Mais visiblement Carlotta ne l’entendait pas ainsi, puisqu’il semblait que l’accouplement ait également des propriétés soporifiques, qui d’ailleurs l’envahissaient lui aussi. Il s’affala à côté d’elle  et sans même verrouiller ses connexions et son système de navigation, plongea dans un état de pseudo coma.
 
Voila. C’est incroyable, il a fallu que je m’arrête presque de force, j’étais parti pour toute la nuit. Je crois que je vais démissionner et me lancer dans une carrière littéraire, le Pape du Hard, le Rocko Sifredi de la chronique.
 
Je ne sais pas ce que tu en penses, mais avec ça, m’est avis que les têtes de gondoles vont s’offrir à moi comme des Carlotta de l’économie de marché.
T’embrasser, t’embrasser, te violer sur la table de la cuisine tu veux dire.