La Chronique d'Emmanuel Normant                  
       
Une Journée folle.


ça commence à 11h, CNN “calls” la Pennsylvanie pour Biden, 273 delegates (il en faut 270 pour gagner), game over, Joe Biden est le 46th président des US of A.
 Mon voisinage trépigne, on tape sur des casseroles, on se croirait aux grandes heures du covid, pour remercier les nurses.
On sort dans la rue, et k’ca dance, ça chahute lan’dans, des cornemuses, des tambours, des klaxons, upper west side s’enflamme (c’est pas souvent).
Mais avant de parler de ma journée folle, un chapeau bas pour cette démocratie dont on se moque (à juste titre souvent), la plus vieille. Le scénario n’a rien d’étrange, un media, CNN, AP, NYT propose un vainqueur. Trump a été aussi été « élu » avant les comptes finaux (j’imagine qu’en France c’est pareil, à 20h, 100% des comptes ne sont pas dans la boite). La mathématique dit simplement que Trump ne peut plus gagner. Clinton a « conceded » avant les résultats finaux. Tous les perdants, Romney 2012, Mac Caine, 2008, Kerry, 2004, même Al Gore, 2000 ont « graciously conceded ». C’est une (jolie) tradition américaine : on s’est étripés, inondés d’injures, mais il y a, à un moment un respect du « we the people ». Il y aura une exception cette année, parce que « graciously » et « concede » ne colle pas (du tout) avec l’incumbent.
A ce propos, certains de mes lecteurs étaient surpris de ce vote qui traine, de ce « bordel ». Un mot : arriver à sortir un élu, accepté par la majorité (même républicaine) d’une élection sous Covid, sous Trump, avec un taux de participation historique (Biden est élu avec le plus grand nombre d’électeurs, ever, le deuxième plus gros score, c’est Trump 2020). Trump a essayé de bloquer la poste, de dénigrer les élections (s’il perdait). Alors moi, je dis : je ne sais pas quelle démocratie aurait été capable, avec ses milliers de petits bras qui ont compté, recompté des millions de ballots, aurait été capable de vaincre l’hydre. Franchement. Chapeau bas.
Un autre point pour ceux qui se demandent : le président est officiellement élu quand les 538 delegates se regroupent à Washington, et « votent » donc, ils valident. Le 14 décembre. Biden a 279 (il a chopé au passage le Nevada) et aura sans doute, à cette date, 306 delegates (Georgia et Arizona). Tout ce petit monde votera gentiment, et pis voila. Le reste, ce sera des hurlements sur twitter d’un malade. La machine est en marche.
Ma journée folle.
Columbus Circle, midi : un incroyable déchaînement de joie et de furie, des vétérans des guerres passées, des jeunes, des vieux, des cris, des chants, une cornemuse, encore (ils sont partout ?). Je ne regarderai plus jamais Columbus Circle de la même façon. Je suis devenu ce jour (un peu plus) un new yorkais, des endroits de cette ville ont maintenant une histoire, mon histoire, cette histoire. Il faisait incroyablement doux, aujourd’hui, les ginkos de Central Park explosaient d’or et de couleurs d’automne, et Biden avait gagné.  Un moment très paisible dans cette furie de l’immédiat, un havre, des amoureux, de jeunes parents, un endroit en dehors du temps, une bulle de Ginko biloba d’or et de lumière. En déambulant vers Time Square, notre « OUT NOW » jaune qui pète a fait sensation. On s’est arrêté sur Broadway, à deux pas de Times Square pour un café. Première fois de ma vie que des gens m’ont demandé s’ils pouvaient nous prendre en photos. Pleins. Peut-être sommes nous, comme je parle, célèbres sur instagram. Go figure.
Je te laisse, y’a le boss qui cause.
Et je t’embrasse, oh, god, yes, je t’embrasse.

 


c'est du live, coco.:
 Quand c’est tout bleu comme ça, Trump est vert, la vie est rose, et orange est “so passé”
c'est pas fini, mais on avance: ça bouillote gentiment du cote republicain : les pontes (Romney, Rove, Christie...) commence à prendre le large.
La rhetorique trumpienne est toujours basée sur un coup de menton (on l'a  dit le petit mussolini orange). Cette mort lente, douce, tellement bidenienne, un etouffement lent, marecageux, une douce asphyxia, that's clever. 


Et le matou revient... il est toujours vivant


Jeudi 00h20 heure française


Tu reprendras bien une louche d'election americaine ? Pour le tonton d'Amerique ?
On avance, on avance. Biden vient de récuperer le Michigan, il lui manque l'Arizona (ce soir a 7pm), et le Névada. 
En fait le fait de n'avoir que quelques jours de retard pour une élection sous covid et sous Trump avec un taux de participation historique est à mettre au crédit des institutions americaines qui ont tenu le coup.
C'est plutôt bien emmanché, comme vient de le dire d'ailleurs Ol' Joe.
il peut laisser la Pensylvanie et la Géorgie à Trump, que le petit personnel s'amuse. Malheureusement, il se pourrait que le sénat reste republicain, ce qui ferait de Biden un president "impuissant" (comme Obama pendant 6 ans). Je préfère encore ça à l'autre dingue hurlant tous les jours.
Dans ces cas là (sénat contre le president, une sorte de cohabitation) les presidents vont signer des tas de traités, non validés par le congrés, donc caducs, et éliminés à la prochaine election (cf, COP21, Iran...).
quand même surpris par le manque de votes pro-Bidden de femmes, de latinos (notamment). 
Bon, et cette caisse de veuve Cliquot, elle est où ?
 
Et le matou revint le jour suivant

Même pas mal. 
comme prevu, les votes  in-person plutôt republicains sont arrivés les premiers: c'est tout rouge. Mais depuis le goutte à goutte bleu arrive. D'ici à vendredi. 48h ? Faut que j'm'équipe. ça fait 2 ou 3 bouteilles de gin, un coupe ongle neuf, une bonne louche de benzodiazepines, mais on va y arriver, Biden est le favori "about everywhere". 
 
Allez, une pour rire: Dans le wisconsin, un precinct (quartier) n'a pas été encore compte, parce qu'y avait pu d'encre dans la machine. 
 
 
  • Georgia, Michigan, Nevada, North Carolina, Pennsylvania and Wisconsin — and all are still counting votes. We may get some final vote counts today, while others could take a few days.
  • “Biden’s the favorite, even if narrowly, just about everywhere,”
 
Mercredi 4 nov, 12h17, heure française

Le bleu fonce c’est sûr, le bleu clair pas-mal-sur, le jaune pile au miyeu, rose et rouge, c’est le nazi. Donc, or, et forcement, si on prend un peu de bleu clair et un peu de jaune et qu’on rajoute au bon bleu fonce (“marine” ahah) c’est dans la poche. *
 
 
Mardi 3 novembre, 19h12, heure française

La Nuit du Chasseur

Bon, les enfants, ça commence à se gater un peu: Ils barricadent les devantures des magazins à Greenwhich Village, là ou je travaille. Y z'ont même pratiquement fermé mon labo. Ben je vais ou moi ? 
Au fait, Chérie, on avait  pas un vieux Glock 9mm à la cave ?
La tension monte à El Paso, et aussi à New York, et aussi un peu partout. Le covid, y doit regarder ça avec des yeux ronds : Ben, les gars, c'est moi qui fait peur, normalement, ho, ho.
 
Je commence mon live très tôt cette année, président anormal = horaires anormaux
 
je résume donc :
- dans "normalement Bidden gagne", c'est quoi que tu comprends pas ?
-  "normalement" 
 
j'ai tout dit.
Mais le NYT ne te laisse pas tout seul.
Il va nous aider avec les aiguilles magiques.
les 3 premiers états à sortir des résultats (vers 19-20h, 2am pour toi, tu dormiras) sont la georgia, florida et NC. suivant que les premiers votes seront des mail-in ou des vote-in-person, et avec un algorithme de la mort, le NYT va faire bouger les needles vers le vainqueur. Si Bidden gagne un seul de ces 3 premiers états, c'est dans la poche, si Trump gagne les 3, c'est alors 50/50. 
comment y savent ? Ben, y savent pas, ça se saurait. mais c'est comme l'acupuncture, je bois moins avec les aiguilles.
 
 

Est-il raisonnable d’écrire une chronique à deux semaines de l’élection présidentielle américaine ? Pas sûr. 

Comme disait un humoriste en lançant la séquence d’une tirade du monstre orange “listen, it’s kinda funny, especially if you don’t live in the US”.

Alors, bon, l’élection. Clairement il y a deux écoles : les optimistes, moi, les pessimistes, eux. Ce qui est drôle, c’est que justement le fait qu’il y ait des pessimistes, me rend optimiste. J’explique, j’étaie, je construits.

Il y a quatre ans, les sondages Clinton-Trump étaient très similaires à ceux d’aujourd’hui, il va se prendre une volée mémorable, +10 pour la démocrate dans le Michigan, +12 dans le Wisconsin, on va passer une bonne soirée sur CNN, tu as pensé au guacamole, chéri ? Pour les chips.  On s’était habitué, Obama-McCaine en 2008 était aussi plié d’avance, les néo-cons, les je-dérégule-à-tout-va s’étaient pris les pieds dans le tapis de la crise de subprimes, grosse gamelle, on avait même le spectacle gratuit avec Sarah Palin en VEEP mémorable. 2012, avantage au président en place, tout pareil, Romney se prend une tôle, guacamole, un bon Chablis, quand même, chérie, c’est le président. 2016 ? Tout pareil, premier mardi de Novembre, j’ai zigouillé une portion enviable de sarcomes dégueulasses, je rentre de la gare par le chemin des écoliers, plutôt serein, cool. Laisse tomber le guacamole, j’ai fait des croquemonsieurs. Pour Clinton ? Un Sancerre ? C’est cher payé. En anglais on dit « mundane », ben tu chercheras dans le dictionnaire.

Je me souviens de cette soirée de novembre 2016, quand la Floride (premier swing state à sortir des résultats) qui était à +12 Clinton dans les sondages est devenue rouge, on a arrêté le guacamole. On a fini le Sancerre. On a coupé le poste.
Keskicépassé ?
Les sondeurs sont des crétins, ça on le savait, mais durant les 4 élections que j’ai suivies, live, en terre Mohawk, ils ne s’étaient pas plantés trop souvent. L’explication du bon Docteur Normant est la suivante. Assieds-toi. Le cahier à spirale, une marge rouge à gauche pour la correction, on partage dans le sens de la longueur la feuille en deux moitiés avec le crayon rouge, gras, 4B, ça ira. A gauche Biden, en bleu, à droite Trump, en rouge
En 2016, quatre étoiles, the Death Stars, se sont alignées : i) tout le monde pensait que s’était plié, tu crois chérie ? Y pleut ? Voter ? effondrement du vote classique démocrate, ii) je suis démocrate, mais là on revient au droit divin, deux fois le mari, et maintenant la femme, ex-State Department secretary, ex-sénatrice de New York, ex-première dame ? Une dame plutôt arrogante, ou, en tout cas, qu’a pas compris la middle-class, ces gens-là ne sont pas pétés de tunes, admettons, mais ils ne sont pas forcément « deplorables». Communication arrogante = baffe dans ta gueule. C’est un principe de PolCom plutôt simple. Hm ? Oui, je crois que je vais laisser tomber la biologie du cancer, je vais aller proposer mes services à Anne Hidalgo. J’aime beaucoup Anne Hidalgo. Bref, le deuxième point de cet exposé de moins en moins clair (c’est à cause du Gin qu’ils mettent dedans), c’est que l’adversaire de Trump avait des casseroles. Je ne parle pas de ses emails, je parle du fait qu’elle était une femme, qu’elle s’appelait Clinton l’année 2016, l’année du dégagisme, l’année de Johnson, de Bolsonaro, de Melenchon (nan lui, même en pôle position, il a raté la marche).
Je m’enfonce dans un terrain politique marécageux (toi, mon dahlia noir, tu ne le sais pas, mais mon auditoire va du bleu (clair) au rouge (vif)). Bien. Les deux premiers points, pour résumer, c’est qu’en ce petit matin de novembre 2016, il y a les démocrates qui ne se déplacent pas parce qu’elle a déjà gagné, et les démocrates qui ne se déplacent pas, parce qu’elle fait pas mal chier. Il y a même les indépendants, qui avaient voté Obama deux fois, et qui se disent que tant qu’à se déplacer, pourquoi pas essayer le monstre orange ? Ce qui m’amène à mon troisième point. A la ligne, deux carreaux, bic rouge.
En 2016, deux populations ont voté Trump. Ceux qui ne savaient pas, qui se foutent un peu de tout ca, et dégagisme oblige, ont voté Trump, « pour voir », comme au poker. Il y a aussi la base indéfectible, qui votera Trump dans deux semaines, quoi qu’il arrive, pour être bien sûr qu’ils pourront se promener en ville avec des AK47 en bandoulière, que les gamines en cloque retourneront à leurs aiguilles à tricoter, que les bougnoules seront expulsés de manière vraiment sordide, que ce putain de mur sera bien construit au frais des mexicains et que les noirs ne pourront toujours pas respirer sur leur coin de trottoirs. Ca fait 40% de l’Amérique. Et ça, sans rire, (nan, du tout) ça me fait pas mal peur.
Le point c’est que ceux qui ne savaient pas, maintenant ils savent. « If you're not worried, that’s because you don't pay attention » disent souvent les bumper stickers américains. Mais une couche de covid aura rappelé à tous nos amis distraits qu’un dingue, c’est drôle, jusqu’à ce que c’est plus drôle. Trump n’a jamais cherché à étendre son électorat, Trump ne fait pas de politique, Trump fait du Trump, la seule chose qu’il puisse faire. C’est une raison d’ailleurs d’être encore plus optimiste : Trump désespère ses campain managers, il devrait chercher des voix en Ohio ou dans le Wisconsin auprès des indépendants, pas de sa meute qui hurle et qui vote déjà pour lui. Trump n’a pas ajouté un seul électeur à sa liste déjà bien maigre.  Il n’a pas conquis de nouveaux électeurs, ce n’est pas son problème. Trump ne réfléchit pas. C’est comme ca qu’il a gagné, « brute force », c’est pour ça qu’il va perdre. Il se tire même une balle dans le pied : A force de faire planer l’idée qu’il n’acceptera pas le résultat des urnes, il incite tous les démocrates à se déplacer en masse pour créer ce fameux « landslide », la marée bleue, qui pourrait bien, dans le mouvement, ramener le sénat aux démocrates.
Alors. En 2016, les sondages disaient que Clinton gagnerait. Les sondages avaient raison : Elle a gagné le vote populaire de 3 millions de voix. Trump n’a gagné que grâce au système américain, et ces étoiles mentionnées plus haut, coup de bol. Mais en 2020, tout le monde sait que Trump peut être réélu, il est dans la position de Clinton : beaucoup, si beaucoup (même les mormons et les jésuites s’y mettent), des ex-obama-puis-Trump sont devenus des Biden, des anti-Trump.
C’est la clé de l’histoire : il y a eu beaucoup de « Never-Clinton » il y a beaucoup de « never-Trump » mais il n’y a pas de « never-Biden ». Ca n’existe pas. Joe est vieux, il branle dans le manche, mais il est gentil, il est calme, il est compétent, il n’a pas de compte twitter, il est à gauche, à droite, au centre, il a un diplôme de l’université du Delaware, vu la taille de l’état, l’Université du Delaware ça doit être une table de cuisine : Joe c’est pas l’élite, c’est pas Harvard ou Yale. C’est un papa qui a perdu sa fille et sa femme dans un accident et puis son fils d’un cancer, c’est, réellement, un gars comme nous. Un bon gars. Il nous fera qu’un terme (moi je parie qu’il s’arrête après les élections de mi-mandat), il est très populaire chez les afro-américains, il est, si on compare à Clinton, le candidat parfait, sans tâche, teflon, avec une VEEP, une femme, jamaïcaine et indienne. Aucun stratège républicain n’a réussi à le coincer. Super bingo : Covid. Il ne peut pas faire ces meetings de 100.000 personnes, il ne peut pas gaffer, il ne peut pas parler. Maintenant les étoiles s’alignent pour lui.
La seule chose qui retient les démocrates, et l’auteur de ces lignes, d’acheter une caisse de Veuve Cliquot, c’est le résultat de 2016. Et c’est justement, ex-ac-te-ment pourquoi nous devrions tous acheter cette conne de caisse. Le résultat de 2016 implique une inéluctabilité (c’est français ?) qui n’est qu’un miroir aux alouettes. Trust me.

C’est un résumé sobre, didactique, clair, sans entourloupe à la New York Times, le résumé d’un pharmacien compétent, de bon aloi et père de famille, qui t’explique calmement que Trump va se prendre une branlée.
T’avais d’autres questions ?
Et si j’avais tort ?
Tu m’avais pas parlé d’un canapé dans ton garage ?Je ne t’embrasse pas, j’ai mis ma perfusion de Gin, mes lunettes noires, je suis sous ma couette, je passe la Grande Vadrouille en boucle. J’ai peur.