Catherine Estrade


                   Je suis une sorcière


 
Je n’ai rien mangé depuis si longtemps, ce morceau de rave, je le regarde à peine pour l’oublier.
 
J’ai faim, j’ai froid, de haine.
 
Je vois de ma lucarne barrée, le bûcher qui m’attend. Je ne sais pas mon âge, je suis née aux environ de 1350, à Gimel, près des cascades, là où j’ai baigné mon corps nu.
Offrande à ma joie.
Gojatièra !
 
Mes semblables, yeux fermés, ignorance, s’abaissent aux tyrannies de ceux qui prennent, ceux qui gardent. Le dos rabattu sur la terre noire, le nez raclant le sol pour en sortir l’avoine qui grossira l’abdomen insatiable des opulents.
 
Ma douleur et ma souffrance ont brisé l'espoir. Je suis sorcière, cheveux noirs et sales, l’eau pour eux, à manger pour eux. Rien pour moi.
 
Accroupie dans la boue, enfant maigre, depuis toujours, je ne mange pas. Je ne suis que la servante des porcs à égorger.
 
 
 
J'ai basculé dans mes écarts de colère, legs  à mon dieu fier et cornu.
 
De ses regards rouges,  brûlants, il a ébauché des possibles. Je l’ai suivi, éperdue de révolte, boursouflée de plaie. J’ai escorté de près les empreintes de la mandragore, tête d’homme, pattes de lion, queue de serpent. J’ai ravitaillé ma peau de légende.
 
Dans la neige, dans les gorges de la Montane j’ai dormi, près des ruisseaux gelés, cherchant la mort à chaque expiration.
Grimauda !
 
 
 
Ils m’ont saisie hier, m’ont mise là, ligotée…
 
Abatz crebar ne infèrn !!
 
 
 
Le curé viendra, la bedaine en avant, gorgé d’envie. Et le  baron violeur s’avancera, yeux baissés, mine d’apparat, pour jouir une nouvelle fois de ma désespérance.
Unique fois où ils déshabilleront le vert de mes yeux.
 
 
Misérable je ne serais jamais parce que j’ai choisi.
 
 
Filha negro. Filha del diablas.