Des dunes et des ocres
  Catherine Estrade
 
 

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                    Bamako


 
Bambara, Peul, Touareg, teint foncé, teint clair, mélanges, peuple brassé. Ils se croisent, se connaissent, se reconnaissent. Les gens de Bamako portent en eux la force et l'histoire de ce pays. Terre accablée, encore désunie.
Les vieilles querelles ne s'oublient pas.
Je touche, je soupçonne les tensions, celles qui viennent du nord.
Des scarifications ésotériques sculptent l'ébène du front. L'or et le cuivre s'enroulent autour des lobes et les mains longues et fines caressent de la paume les joues des bambins barbouillés.
Un targui coiffé de sa tagelmust promène son corps longiligne. Une femme peule-bororo l'accompagne. Je me sens comme une tâche de gras sur un drap de soie.

 
                                  
Bamako lente et vive grouille de passions. La nuit tombe, la terre devient rouge. Les bruits s'étranglent, l'odeur s'épanche.
Ce fumet si particulier d'une épice dont j'oublie toujours le nom tant ses effluves m'agressent. Ce parfum que je n'aime pas et que je cherche pourtant chaque soir.
Nourriture que l'on cuisine.
Et cette puanteur indicible, là où les crocodiles prisonniers se repaissent .
Dans ce fatras de senteur, Bamako la glauque garde ses milles secrets.


 
Prés du marché de Médine, les bandes de chiens africains recherchent la pitance: les déchets maigres que l'homme a laissé là.
Les muscles tendus, les oreilles pointés, les spectres de sable dévorent le voile de l'obscurité.
Charognards noctambules, ils éclipsent le jour qui se lève.
 

                                         
Je rêve, je divague, le regard semé. Je mets les pieds dans une flaque de boue, terre d'ocre et d'eaux mêlées. Déjà le corps entier couvert de cette poussière qui finit par donner une mauvaise toux.
Bamako, ensorceleuse.
J'ai pénétré en elle jusqu'à la source. Je me suis enlisée dans son désordre inventé. Elle a conçu en moi des mots dont j'ignorais le goût, me laissant abandonnée, dépourvue d'ombre.
Je laisse doucement ce plaisir m'étourdir et j'ouvre mes sens à son mystère.
Je pose tout. Je laisse aller. Trois voyages pour me laver. Trois voyages pour accepter. Etre moi même, là-bas, sur le square Lumumba, aux portes du Marché rose, au point G, à la cathédrale, à la mosquée, et chez Eux.
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Dessin Jean Furelaud