QUELQUES NUITS
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Je n’ai pas d’autre temps -d’autre temps que la nuit.
J’ai marché si longtemps que je ne me souviens plus de l’air qui transperçait mes désirs de fuite. J’ai fui sans une question, sans un mot, sans autre but peut-être que de marcher très loin de ce que me chantaient les ronces de l’enfance. J’ai fui, loin – et me voilà perdue.
Le sol reste muet à mes pieds qui tapent. Les feuilles froissées rouges qui autrefois ne chuchotaient que pour moi n’ont plus le goût du jeu ni l’envie de me plaire –leur magie m’est dérobée soudain et pour jamais.
La dérive lente des jours sans fin a fini de noyer les éclairs qui tantôt me prenaient à la gorge, et c’est toujours le soir, le soir au crépuscule, sur le seuil pour toujours
- et j’ai cessé de me débattre.
Il n’y a que la nuit. La nuit déploie encore ses rêves féériques de silence et de non-lieu ; enfin libérée des couvertures étouffantes des jours coulants et de leurs mensonges, la nuit n’est que mienne, et tienne si tu veux –ne sera jamais leur –ils dorment.
La nuit, je continue de marcher, je continue les pas de danse et puis de fuite, je continue la vie comme je l’ai rêvée –que faire du soleil ?
Je n’ai pas d’autre temps - d’autre temps que la nuit.
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Il était nuit. Obscurité impalpable, silence soudain des portes closes et des folies passagères –quand la vie au dehors a cessé son vacarme, son roulis lancinant de journées tristes –aussi semblables que les grains de sable qui filent entre mes doigts.
Il était nuit. Libre d’aller et venir à son gré, la lune s’était endormie sans éclat et sans fard –amie des songes vains et des mélancolies spectaculaires, source vive de paix des destinées sublimes.
Il était nuit et le temps glissait aussi vite que les notes s’égrainent sous mes doigts, parfois, quand la beauté se fait lointaine – que les journées se font trop lentes – et que le désir vagabond s’est fait la malle sans un mot.
Il était nuit – et le rêve brumeux s’évaporait déjà par delà les étoiles – au loin les océans et la mer et la grève et les rives gelées toutes sucrées de givre et les chants et ta main –et la nuit n’est que mienne –et tienne si tu veux –et le rêve est bien simple.
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C’est la nuit - violence intemporelle. Là, que se créent les plus belles chimères, là, que s’évade l’hiver de celui qui a vécu, là, que se chantent les douces chansons mièvres et lentes des enfances cauchemardesques, là, que se meurent les quotidiens lancinants de ces passants de parenthèses, là, que s’éloignent les mots des hommes pour en rejoindre la folie - Là.
La nuit comme une fièvre qui s’exile et taille sans vergogne le -tic-tac- des heures trop comptées de nos journées perfides.
Funeste, - c’est le jour.
Et je rêve souvent qu’un rossignol dont on aurait inventé le nom n’en finisse pas de t’appeler -nuit.
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Il est Nuit. Le temps glisse aux désirs vagabonds
Et la vie, au dehors, a cessé son murmure ;
Et le rêve, engourdi de mélodies obscures,
Apaise un peu le cœur des hommes qui le font.
Il est nuit. Le silence est serein et profond.
La solitude fière a quitté son armure
Et les chagrins d’hier, les anciennes fêlures,
En images adoucies –un baiser sur ton front.
Quand de pauvres questions amères, lancinantes,
Se débattent au fond des folies qui te hantent,
Et mutilent tes jours d’une vague chimère,
Je regarde et j’attends, en silence et je lis
Bien doucement les rêves clos sous ta paupière
- et je deviens ta nuit.
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