Audrey Soulié                                                                                                                    Accueil Ecriture
 


Quand la lumière s’éteint il y a cette plongée.
Ce gouffre. Une autre lumière.
Différente.
 
Le corps existe mieux parce qu’il n’existe plus.
Parce qu’il n’existe plus aucune raison de résister.
Parce qu’ici, dans la parenthèse d’un temps incessamment distendu, le danger s’efface et grandit, et le plaisir, - toujours désespéré. Mais possible.

Bref, la tragédie.
 
La tragédie demeure mais la mort est petite et les yeux grands, si grands les yeux qui te happent, les yeux de la perte, les yeux perdus.
 
Les yeux qui te happent.
 
 
 
Il y a aussi, toujours, avec elle, ton agacement. Face à toutes ces larmes, à tous ces drames montrés, à cette ostentation presque insupportable, à ces infinies répétitions de la douleur et du silence et du silence et de la douleur et tant de mots, tant de mots pour les dire, et la parole en boucle comme ce qui reste à la fin, - dit-elle : une chanson.
 
 
Pourtant, toujours, avec elle, cette impudeur n’est que de la pudeur, et ces larmes voilent d’autres larmes, et ces cris taisent tant de cris, des milliers de cris, tant de hurlements, tant de révolte impossible, tant d’abandonnés, de mains qui cherchent dans le noir - et ces lumières trop crues savent laisser au fond les ombres en repos, et les effleurent, et les effleurent, et les effleurent encore.
 
 
La pudeur. De l’inconsolable, de l’inconsolé. La terreur de l’oubli, la pitié de la mémoire. Le goût du sang dans ta bouche, de tes poings contre le mur.
 
La pudeur délicate et sans orgueil du mensonge, la pudeur de l’artifice, la paix, de l’artifice du récit maîtrisé qui seul est encore dicible, le renoncement à la grandeur abstraite, l’humanité.
 
Parce qu’il n’y a pas de mot pour taire l’innommable, parce qu’il n’y a pas de geste qui sache ensevelir et parce qu’il n’y a d’amour qu’à l’ombre de la perte.
 
Et quoi d’autre, sinon : la forme d’une ville, la mesure d’un corps, la beauté d’une peau, quoi d’autre à dire.
 
Rien.
 
 
Sinon qu’il faut le dire, quand même, quand même, le noter, quelque part, pour mémoire, boire l’oubli dans le souvenir - et ce même si demain, déjà, tu ne comprendras plus, comme ne comprennent plus ceux qui me cernent tout d’un coup et étrangement sourient à ces impossibles adieux cent fois répétés.
 
 
C’est qu’ils n’ont jamais vu Hiroshima, mon amour.


 









Écriture 







"J'apprends à voir. (...) 
J'ai un intérieur que j'ignorais. 
Tout y va désormais. 
Je ne sais pas ce qui s'y passe."

 
R.M.Rilke.
 


Musique