Audrey Soulié                                                                                                                    Accueil Ecriture


Au bras d'une femme blonde qui n'est pas Antigone, auquel cas je l'aurais forcement reconnue, j'aperçois un petit garçon aveugle qui se dissimule derrière ses cheveux longs. Il marche avec difficultés parce qu'il est déguisé en vieux monsieur. Il attrape une guitare comme pour se cacher davantage et, comme il s'y accroche, je constate qu'en vérité elle a toujours été là. Il met son chapeau sur la tête.

Il y a quelques erreurs au démarrage. J'ai une drôle de boule au fond de l'estomac. J'ai peur de ne pas être au bon endroit. Parce que le petit garçon semble avoir oublié le rôle qu'il est censé jouer. Il fait complètement abstraction de son costume. Il y repense quelquefois, quand il boit ou quand il cherche son micro de ses deux mains tendues en avant mais il est beaucoup trop droit, il va même jusqu'à danser avec le jeune bassiste qui du coup fait figure de vieillard à côté de lui. Tout cela n'est pas crédible.

Il s'amuse avec sérieux. Il fait de gros efforts, aussi. On le sent.
Mais il s'amuse tellement qu'il est trop naturel pour faire ce qu'on attend de lui. On le voit.

Et surtout, on l'entend. Quand il chante. Parce qu'il chante. Il chante I'm gonna live until I die.
Moi, ça m'est un peu égal, au bout du compte, la justesse des images.
Parce que je n'ai plus rien d'autre au fond du ventre que quelque chose qui vibre.
Il chante et les questions qui ne s'annulent pas n'ont plus tellement d'importance.

Il s'est trompé de rôle. Ou je me suis trompée de pièce.

Il y a sur scène l'illustration parfaite du type qui prend son pied à chanter des chansons d'amour, les siennes et celles des autres, quels que soient le lieu et l'heure, quels que soient les oui ou les non, quelles que soient les bonnes ou mauvaises raisons qui l'ont mené jusque là, tant bien que mal, qu'est-ce que ça peut foutre, après tout, les erreurs, les rides et la bonne conscience des survivants. Il chante, il se marre, on sent une vague lente et tenace dans les gens qui s'entassent devant lui, dansent, chantent, marquent le rythme avec leurs pieds, avec leurs mains ; tous les corps sont en suspens, restent accrochés à la guitare. L'amour, ça crie dans les silences. Il rit.

I know it's the drinks babe, but I love you back. La réplique est convenue, il la répète plusieurs fois, elle est dans le rôle, mais il la balance avec tant d'élégance et d'humour que je le crois. Parce qu'il y croit aussi. Il croit en quelque chose de perdu qu'il jette négligemment à nos pieds à chaque minute qui passe. Il mise tout quelle que soit la donne. Et chaque minute est du temps gagné contre la perte inévitable des étoiles.


 


 








Écriture 







"J'apprends à voir. (...) 
J'ai un intérieur que j'ignorais. 
Tout y va désormais. 
Je ne sais pas ce qui s'y passe."

 
R.M.Rilke.
 


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