Catherine Estrade


 
       Mon plateau
 



 
Je ne peux pas vraiment voir, je suis au volant. J’ai juste, collé sur le coin de mon regard ce vert qui me revient de loin. Et puis les lignes.

Ce qui me revient de loin, et qui me souffle que je ne tiendrai pas, que je ne pourrai pas rester ici, même quelques jours.

Au galop, une course d’enfant, les  près, les mille sources. Et son visage qui me  flanque par terre, obligée, nouée déjà de ne pouvoir empêcher  le flot de ce qui revient.

Une jeune femme aussi, aux gestes forts, écartelant le vent d’ouest en est. Dans son ventre l’envie, dans son ventre d’ignorance. Elle ne sait pas qu’elle est de ce secret, sur ce plateau de landes et d’arbres, d’eaux cachées, murmurantes.



Il y a à dire aujourd’hui ce qui ne se sait pas. Il y a à regarder de près l’intérieur du cri.



 

Une fois la route achevée, le défilement figé, je laisse venir. Je connais trop ce sentiment d’amour violent qui mène à la souffrance. Appris à l'arrimer, à l’astreindre. Mais là, je ne peux pas, je laisse venir.

Il faudra bien que je pleure lorsque ma grand-mère reviendra me parler à l’oreille, que je pleure lorsque mes hêtres reconstruiront pour moi les cabanes plates et lourdes.


Et le silence

Le silence qui assèche, berce. Ce silence qui n’a de pareil qu’au cœur des étoiles, celles-là même que je prends dans mes filets de consolante.



J’apprends, encore. J’apprends ce que je suis, dans les tourbières, engoncée dans la terre mouillée, mystérieuse à moi-même et la poésie posée là en naissance de toute chose.

Il n’y a qu’elle pour dire, pour dire mon pays et mes racines épaisses plantées depuis toujours dans ce monde éloigné du reste du vivant, ce monde en paix.



En paix. Après les larmes.

En paix.

Et le désir, l’attente, être ici enfin et côtoyer la mort ou l’éternité qui caresse.


Quand j’aurais fini de grandir, quand cesseront les heurts

Je reviendrais

Parce que

Mon pays c’est la paix.


 
 

A suivre ici