Chapitre 7



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Le magasin du pétrolier ressemble à ses congénères de village, si ce n’est ce zéro additionnel sur les étiquettes des prix, si l’on se penche suffisamment pour déchiffrer ce détail. Le plastique y régnait en hobereau tyrannique. Il enrobe les sandwichs, les bonbons, les revues pornographiques ou non, et aussi un peu la caissière. Garance s’acquitte d’une fortune pour un récipient, lui aussi scellé, dont le poids total devait au moins autant au plastique du contenant qu’à l’eau contenue. Elle aperçoit alors Bill, quelques barres chocolatées prévisibles dans une main et un coke obligatoire dans l’autre.

-Dou you faïnde ouate you wante?

-Say that again ?

-Rien…    

Surprenante découverte pour Garance que l’incroyable efficacité du langage pour communiquer ne serait-ce que sur les sujets les plus terre à terre. Elle se sent en face de Bill comme handicapée. Elle éprouve un manque qui, en creux, dessine une évidence. C’est vrai en amour, en argent, c’est vrai pour nos sens, c’est vrai pour la constipation. Etonnant qu’une idée aussi simple ne l’effleure qu’à vingt-cinq ans.

Ils repartent donc sans un mot, re-bretelle, re-pantalon, re-coutures qui défilent. Elle a l’impression d’être l’aiguille d’une machine à coudre d’un atelier clandestin dans les mains d’une ouvrière à la bourre, avalant du tissu jusqu’à l’étouffement. Re-bretelle, on sort à Laval, on emprunte une nationale, une départementale, une communale, de plus en plus étroites, avec de plus en plus de vaches, et de moins en moins de maisons qui regardent. On se dirige vers le trou du cul du monde. Ca sent la bouse, c’est plaisant. C’est bucolique.

La voiture se range de guingois, deux roues sur l’asphalte, deux roues dans la boue, devant le petit pavillon. Tic et Tac bifurquent.

-       Allô, X251 ? On est chez la mamie. Qu’est-ce qu’on fait ?

-       Selon moi, ils devraient négocier. Vous surveillez.

-       Pas d’intervention ?

-       Non. A moins que la CIA ne pointe son nez.  

Ils raccrochent. Encore une histoire où l’on ne comprend rien, où il ne se passe rien, où tout commence et finit dans la brume. Palinodies, coquecigrues et salmigondis de politiciens, auraient-ils pu s’écrier. Ils optent pour un « chier ce truc », plus facile à porter.

-       Tu sais pourquoi il s’appelle X251, X251 ?

-       Pour pas qu’on le reconnaisse.

-       Ben, nous, on le reconnaît.

-       Non, on sait pas son vrai nom.

-       Ah. Comme nous. C’est Tic et Tac.

-       Voilà.

-       Ca sert à quoi de pas savoir le nom ?

-       Ta gueule. Demande à Mude.

-       C’est son vrai nom, Mude, à Mude ?

-       Mude, c’est un chef. Ca a pas besoin, un chef. 

-       Ca serait bien si on était des chefs. 

-       T’as la diarrhée ? Quand tu parles autant, c’est qu’t’as la diarrhée.

-       Nan. J’ai pas la diarrhée, Achille. J’aime bien quand on parle. Tu me dis des choses. On est bien.

Il tourne la tête vers son frère.

-       On est bien Achille ?

-       On est bien.


Déjà la vieille dame était sur le perron, accueillant sa petite fille avec une bise sèche, tête relevée, un peu en arrière, de l’amour filial, oui, des débordements carnavalesques, des effusions méditerranéennes et hirsutes, non. Bill eut droit à une poignée de main osseuse et un anglais d’Oxford dont il saisit au vol quelques mots, mais dont la teneur lui resta opaque. Amélie, cotonneuse, ne participa à la cérémonie que d’un vague signe de main.

-Alors mémé quel temps chez toi dernièrement ? Récita Garance, accomplissant d’instinct les salamalèques d’usage dans la famille.

-Ca va, ça va. Et ton père, pas trop débordé ? Répliqua la grand-mère comme un répons d’église.

La cérémonie des retrouvailles se déroule ainsi sur une bonne demi-heure, rituel complexe et rigide duquel Bill est totalement exclu, sauf peut-être ce verre de Valstar offert comme signe d’une connaissance fine des us et coutumes yankees.

Un tour de jardin termine le cérémonial avec une station devant les glaïeuls, les groseilles et le saule pleureur. Ite missa est.

La maison est ancienne et souffre de sa proximité avec la rivière, cette dernière n’hésitant pas à sortir de son lit pour faire des visites cavalières à la cave, en laissant à l’occasion remonter quelques louches de son liquide brunâtre dans les murs et boiseries du rez-de-chaussée et même du premier étage. Le vaste salon-salle-à-manger qui donne sur le jardin est en cette fin d’après-midi plongé dans la pénombre, ses meubles Louis XIII excessivement foncés ressemblent à quelques vieux bedonnants qu’on aurait oubliés là dans un passé maintenant lointain. La cuisine, du côté de l’entrée, quant à elle rayonne, éclaboussée par la douce lumière du soleil couchant. Une odeur de coquillettes au beurre surgit de bien loin, refaisant le trajet neural en sens inverse jusqu’aux papilles de Garance toutes surprises de ces effluves de l’enfance.

Dans l’entrée qui touche la cuisine, trône un escalier qui arbore quelques affiches début de siècle qui vantent les bains de mer à Soulac. L’étage est plongé dans une obscurité qui tient autant de l’absence de fenêtre que du tissu mural d’un château fort du Moyen-Age. Deux portes sur la gauche laissent prévoir depuis trop longtemps la vague promesse d’un éclairage direct, une troisième au fond filtre un rai de lumière, une lueur d’espoir. Garance un peu gênée, c’est la première fois qu’elle vient accompagnée dans le sanctuaire familial, fait passer Amélie et son sigisbée devant elle et pénètre dans la chambre.

-The blue room. La chambre bleue tente t’elle.

-Oh, yeah, gotcha, lâche Bill.

-
 

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