Chapitre 6



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La filature, c’est comme le tricot. On glane une information, une maille à l’endroit, puis une autre, qui contredit la première, une maille à l’envers. L’ouvrage avance. Se livrer à ce genre d’activités nécessite quelques attributs essentiels : patience, sens de l’observation, résistance aux intempéries, et, le dira t’on assez ? aussi beaucoup de patience, vraiment. Ces atouts doivent être patinés d’une certaine expérience de la vie, des hommes, et des femmes aussi. En effet, aussi exaspérant que ce déterminisme puisse paraître, les deux sexes n’envisagent pas du tout de la même manière le meilleur moyen de faire une connerie - en général on file les gens qui font des conneries.

Numéro X251, sycophante de la DST qui présentement fait le pied de grue devant l’immeuble de Bill, n’a pas encore commencé son tricot. Il doit déterminer si Bill, Amélie et Garance, rapidement repérés comme les protagonistes vraisemblables de cette bouffonnerie, ont quelque chose à voir avec la disparition aussi soudaine que récente d’un manuscrit de Léonard de Vinci. Ca ou autre chose. Numéro X251 ne rentre jamais dans des considérations d’ordre moral ou politique pendant le travail. Il attend. Voilà. Il a déjà installé sa petite affaire. Ayant établi l’emploi du temps de Bill il sait que le mardi soir ce dernier est occupé corps et âme, rue du Commerce, à découvrir la France, ses autochtones, leurs habitudes culinaires, leur soutien-gorge perle et leurs mille et une façons de rendre un garçon complétement fou. Numéro X251 prise grandement ce genre d’occupation qui retiendra son client bien plus efficacement que n’importe quelle obligation professionnelle ou serrure en titane à quatre points d’ancrage. C’est l’esprit paisible donc, et presque en sifflotant, qu’il crochète la porte de Bill, et s’introduit dans son antre. C’est la tanière d’un jeune mâle, une odeur rance, des sous-vêtements boudent ici et là, une chaussette sur le lit cherche sa sœur, l’ordinateur, sur une table de jardin, et sous un film de poussière, regarde de son grand œil vide par la fenêtre. Dans un bol, au fond de l’évier, les marques de café séché dessinent des formes incongrues qui suggèrent certainement des tas de choses intéressantes à propos du futur de Bill.

« Regarder c’est déranger» est une maxime que X251 a emprunté à Pasteur. Il fouille donc, en prenant un soin de maniaque à tout remettre exactement, exactement, à sa place, pendant deux bonnes heures, soulevant, ouvrant, déplaçant, refermant, furetant, déambulant. Epuisant. Il n’y a rien ici. Foi de X251. Il a même dépoté le ficus qui, depuis le début, le regarde d’un air fatigué, lui quémandant à boire, comme un clochard assis sur le trottoir sans pancarte explicative. Si le bonhomme se tient là dans cette tenue, ce n’est pas pour fourguer des assurances vies, il quémande simplement pour deux euros d’oubli, et n’a pas jugé opportun de conjuguer la misère avec des fautes d’orthographes.

Bref, soit le client est prudent, et le manuscrit est au frais à la gare de Lyon dans une consigne numérotée, soit il est intelligent - ça arrive parfois - et il l’a expatrié à l’ambassade des Etats-Unis, territoire américain hors de portée, soit il est innocent - ça arrive aussi, plus rarement. On déballe alors l’électronique, petites puces noires, vicieuses et aveugles. Très rigides dans l’application des consignes, très consciencieuses. L’imagination, l’extrapolation, la rêverie ne sont pas leurs rayons. Elles rapporteront fidèlement à leur maître le moindre décibel susurré ou ahané dans l’enceinte du territoire sous leur responsabilité. On sort. Une maille à l’envers. Ca avance. On retourne à la camionnette pour se mettre sur écoute. Le tricot avance peu. On suit Bill qui vaque à ses occupations, déambule de soirées en vernissages, et retrouve Amélie avec une régularité de métronome peu propice à l’épanouissement d’une vraie passion. L’amour a besoin de surprises, d’échasses, pour ne pas s’enliser doucement dans les sables mouvants de l’habitude. A moins que, sans vraie passion, les deux amants se satisfont des relations charnelles qu’ils entretiennent ? Ca c’est vu.

A la fille maintenant. On suit un adorable petit cul, rue du Commerce, Sorbonne, et retour. Il fait doux. On a connu pire. Le lundi, c’est cours magistral. « Les signes du pouvoir à Lutèce au cinquième siècle. » Trois heures pour préparer le terrain. Rue du Commerce, troisième gauche, tiens, y’a deux noms. On se promène un peu dans le deux pièces, on flaire. Quand même, on parlait tout à l’heure des différences entre la femelle et le mâle. Faut avouer. Juste un X à la place d’un Y, et quand on voit l’innommable chambard de la turne de Bill, et que l’on compare. Etonné, X251 place une petite caméra derrière le miroir, et puis du son. En stéréo, c’est mieux. Là. Une semaine, encore. Patience. Les journées de X251 se partagent entre la Sorbonne et les vernissages. Tous les midis dans sa camionnette il écoute les indiscrétions de ses petites puces. Il a son frichti, thermos d’un plat en sauce de la veille et la bouteille qui va bien avec. Il est en plein bœuf bourguignon un peu nerveux, mais le Nuits saint Georges rattrape bien - y’a pas à dire, bricoler ça avec juste des grappes de raisin, chapeau les mecs – lorsqu’il tombe sur un charabia mâchouillé qui à l’intonation lui tire l’oreille. Retour au bureau.

 

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