Chapitre 1
 
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Arrivé à ce point, les mails virèrent à la pornographie, carrément. Des langues lascives et des mains câlines précédèrent des injonctions sommaires et explicites. Puis, le mari voyageant de ci de là, l’occasion avait été saisie, et une nuit d’hôtel qui aurait du être un feu d’artifice avait été préparée. Las, l’amour physique n’est pas une compétition de gymnastique. Et même si Tomas avait acquis au contact de son beau-père cette volupté des gens de bouche, n’importe quel amateur de sport témoignera qu’il faut être deux pour faire une partie intéressante. Valérie était restée quasi-immobile, glacée, imaginant à tout moment son mari entrer dans la pièce avec un sourire aux lèvres et un calibre 38 à la main. Ils s’étaient quand même endormis, lovés l’un contre l’autre, sûrement la plus belle partie de l’aventure. Le paroxysme des libidos évanoui, un câlin fraternel avait doucement, paisiblement, refermé la page.

Au matin, les tripes de Valérie avaient réagi les premières. Avant d’en référer aux autorités supérieures et laisser les synapses idoines enregistrer dûment l’angoissante sensation en question, elles hurlèrent que non ! Pars ! Ne retourne pas ! Je ne peux pas, je ne peux plus !

Le message éructé n’avait pas cet onctueux, ce phrasé typique du centre de la parole. C’était brouillon, saccadé, mauvaise respiration d’accompagnement, gestuelle grand guignolesque, y’allait sûrement avoir du blâme. Mais le message était sorti, et l’information passée. Au vu des nouvelles que les yeux de Valérie ramenaient en toute hâte au cerveau, rapport à l’attitude de Tomas, son demi-tour dans la pièce, la tristesse émanant de chacun de ses gestes, et le fait, quand même, qu’il ne se retourne point, il semblait bien que le principal fut sauf. On avait évité le divorce, l’ulcère gastrique, les prétoires de justice, l’hypertension artérielle, le bannissement de la famille. De justesse. Mais le train ralentit, nous voilà à Laval. Descendons.


Le décor de la gare plonge Tomas dans une ambiance provinciale où, chaque chose à sa place, l’utilitaire prime. Un carrelage, résistant désespérément à l’usure, l’accueille avec le manque d’enthousiasme de ses couleurs marronnasses. Il traverse le hall, son regard glissant sur les brimborions et les titres accrocheurs des tabloïds locaux. La double porte battante, ses bourrelets de plastique élimés et ses gonds rouillés lui refusent d’abord l’accès à l’extérieur, cédant finalement à la poussée de son épaule. Comme un animal méchant et borné, la porte se rabat vicieusement sur sa cheville qui traînait en arrière-garde pour laisser à la valise l’opportunité de se dégager de ce piège infernal. Le coup de pied de l’âne.

Cet avatar, hormis le tonitruant « merde » claironné sur la Place de la Gare, passa pourtant inaperçu. Les chevilles de Tomas étaient en effet habituées à des traitements autrement douloureux lors de matchs de rugby disputés dans un esprit toujours viril mais rarement correct.

Tomas sort donc, et monte dans un taxi aux sièges rouge vomi, dont tout l’habitacle souffre justement d’un relent âcre et acide d’un récent renvoi. Ce remugle vient en fait d’un petit sapin orange suspendu au rétroviseur intérieur qui doit concentrer la vidange gastrique d’une meute d’animaux malades. C’est en vente libre ? Certes, l’idée de faire correspondre l’odeur et la couleur ne manque pas d’originalité, mais l’homoncule qui sert de chauffeur doit-il imposer cet exercice de style à tous ses clients ? Le nabot prend l’adresse de l’hôtel, et sans un mot démarre son diesel. Cela fait regretter à Tomas la puanteur initiale, le mélange ainsi crée dépassant tout dans l’échelle de l’immonde.

Il avait plu en Mayenne avant son arrivée et le soleil du soir jouait à étinceler dans les flaques de la route, à faire miroiter un toit humide. Comme tous les enfants du monde, il faisait le guignol avant d’aller se coucher. Le bruit des pneus sur la route détrempée, le vent frais de sa fenêtre ouverte, le soleil qui lui fait plisser les yeux, Tomas est reparti dans ses rêveries. Il en est précisément à élucubrer sur le message de l’évangile, et à se demander si, décidemment, le Christ n’était pas le premier communiste de l’histoire, quand une décélération sensible du véhicule le pousse légèrement en avant. Il lève les yeux.

 

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