Chapitre 9




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Mais comme des grâces tombant au crépuscule entre des nuages noirs, un sourire étincelant rayonne d’un visage brun aux cheveux de jais. L’énervement tombe d’un demi-ton. Tu te laisses baratiner, le type a l’air vraiment désolé. Il doit mettre un point d’honneur à soigner son image d’hidalgo toujours sur la brèche, et avec tes crocus au champagne, tu lui as un peu cassé sa baraque. Il parle un anglais chantant, et il est si drôle avec ses airs de Mastroiani, qui sait bien qu’il est beau, et qui joue au ver de terre devant la colombe. C’est un peu convenu, mais c’est amusant et ça fait plaisir. Epandage aéroporté de bonne humeur et hélitreuillage du moral, ce type tombe du ciel.
Quelques verres de champagne plus tard, tu es dans sa voiture, petit chaperon rouge en route pour la tanière du loup. Celui-là, c’est pour le moral. Pas de concours, tu arrêtes de toute façon.
Il est bavard le bonhomme, et il te faut toutes tes ressources d’anglais pour suivre un babil qui danse sur le fil d’une histoire de Léonard de Vinci volé. Chez lui, tu es quasiment nue qu’il continue ses palabres en rédigeant la préface du roman qu’il va écrire sur ton corps :
-       Si. Un type de l’ambassade. Chez nous. Il a fait ça.
-       Pourquoi ne pas récupérer le document tout de suite ? Demandes-tu, surprise par l’illogisme de son récit et par sa langue sur ton ventre.
La première raison de ta surprise s’estompe d’ailleurs très vite derrière la seconde. Alors que Marcello a quasiment disparu entre tes jambes, tout raisonnement construit s’évapore de ton cerveau qui s’englue dans une douceur et une volupté que tu ne connaissais pas, pour en être brusquement tiré par une ascension fulgurante vers le point de non-retour, puis d’orgue. Pantelante, comme anesthésiée, des fourmis dans les pieds, tu reprends à peine haleine sur la berge du fleuve bouillonnant que tu viens de traverser, qu’il te ramène au plus fort du courant se laissant cette fois entraîner avec toi.
Tu es peut-être volage, tu n’es peut-être pas sérieuse, mais Dieu que tu vis. Les yeux pétillants, Marcello te caresse le dos en reprenant son histoire :
-      Il n’est pas assez fou pour garder ça à l’ambassade. Les services secrets sont sur le coup. Tu gardes ça pour toi, mon cœur. La meilleure, c’est que c’est une vieille dame dans un trou paumé…comment déjà ? Changeais lai Lavâl ? Qui a récupéré le document, brûlant la politesse à tout le monde. Pas mal mamie. Mais bon, la pauvre vieille a eu un accident regrettable peu après.
-      Elle est morte ?
-      Oui. Morte, autopsiée, enterrée, fêtée à la prochaine Halloween.
-      A Changé les Laval ?
-      Oui. Tu connais ?
-      Non…
Tu ravales ta salive et le tombereau de questions qui te viennent aux lèvres. Tomas. Il était dans ce bled, pour une mémé trucidée, et il s’était fait tirer dessus. A cause du Léonard ? De surprise, tu te retournes sur le dos et Marcello, prenant ça pour une invite, te refait boire la tasse.
A peine sortie de ce palais des mille et une nuits pour jeune femme célibataire, tu rentres chez toi, décidée à joindre Tomas le lendemain. Enfin une occasion de le contacter, de le rencontrer, de le connaître, et pourquoi pas plus ? Une aventure sérieuse en vingt cinq ans, c’est pas demander la lune. Tu lui envoies illico le mail suivant :
Tomas,
Par certaines indiscrétions, j’ai pu apprendre que le meurtre de la mémé à Laval était relié au vol récent d’une pièce authentique de Léonard de Vinci à Paris. Visiblement beaucoup de gens peu fréquentables sont sur la piste – sanglante - de ce dessin. Je crois bien que tu t’es fourré dans une histoire qui dépasse un peu les compétences et le champ d’action de notre cher employeur. Fais attention à toi, j’ai la vague impression, comme tu l’as vérifié récemment, que le petit jeu de cache-tampon auquel tu t’intéresses pourrait contenir certains risques, comme celui d’abîmer ton si joli visage.
Tomas t’avais répondu qu’il était bien aise que son visage fut aussi bien considéré par certaines locataires du deuxième étage, qui mériteraient sûrement d’être connues plus avant. Justement, il rentrait ce week-end à Paris, on pourrait organiser un dîner d’affaire - boulot, boulot - sur ce sujet d’actualité. Vendredi soir, 19h en bas de l’agence ?
D’accord, avais-tu répondu. Un peu bêtement.
Et vous voilà rue de la Huchette, devant une moussaka. Vous êtes tous les deux fous amoureux. De Paris. Ça crée des liens. Un silence s’installe au milieu du brouhaha de la salle, comme un brouillard autour de votre table. En son centre, comme le calme dans l’œil du cyclone, un instant insaisissable, ces quelques secondes où ton regard se noie au fond de ses pupilles, ce moment où la terre s’arrête de tourner. Peut-être as-tu pressenti que l’enfant qui sortira bien plus tard de ton ventre est né à cet instant.
-       Je ne sais pas où tu en es dans ton feuilleton mayennais, mais on dirait que cette histoire déborde un peu du vase de nos petites affaires, embrayes-tu. Quel intérêt te pousse à t’entêter dans cette affaire ?
-      Pour le moment, la police patauge. Je ne suis pas forcément dans le secret des dieux, Sacha ne me dit pas forcément tout. Je m’attarde à Laval parce qu’il se passe enfin quelque chose. Ca me déride ça m’excite.
-      C’est qui Sacha ?
-      Le commissaire de Laval. Un type marrant. Enfin, marrant, dont le genre et la fonction ne collent pas trop ensemble,  tu vois ?
-      Pas sûr, mais je comprends. Un peu comme Tomas en agent d’assurance ?
-       Ce qu’il y a dans la boîte correspondrait en plus à la ravissante étiquette ?
Tu rougis. Pourquoi baisses-tu la garde immédiatement devant ce type ? Tu recadres un peu le sujet :
-      Ce type de l’ambassade m’a donc dit…
-      Quel type ?
-      Promis de ne pas en parler.
-      Les promesses…
-      Quoique tu en dises, je ne trahirai pas. Sache seulement qu’un plumitif à l’ambassade US…
-      Comment connais-tu les gratte-papier de l’ambassade ?
-      Attends, laisse-moi finir, ce type m’a raconté que la dame de Laval était morte à cause d’un tableau volé à Paris, à l’Institut de France. Cette affaire n’a rien à voir avec nos assurances ou un quelconque héritage. C’est du haut de gamme. Services secrets, relations internationales et gros cigares.
-      Je ne crois pas que la police sache ce que tu m’apprends, et que donc la DST la laisse à l’écart... Ca pourrait intéresser Sacha.
-      Si j’ai compris, la fin du discours était un peu confuse, personne ne sait où est ce maudit tableau. La chasse est ouverte. Et j’ai l’impression que ce ne sera pas à la carabine à fléchette.
Et puis, il serait temps, la conversation s’échappe du carcan professionnel pour prendre un tour plus personnel, puis suffisamment intime pour envisager un pousse-café chez toi.


 
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