Catherine Estrade



                  Passage à l'acte


 
Il revenait pour mieux repartir. Il revenait par les chemins qu’il connaissait de ce passé linéaire et si terne.
Ses mains le portaient, il les regardait fixement, avait le sentiment que son corps entier se reposait dans le creux de sa paume depuis si longtemps.
Loin, plus loin sur l’horizon, un vol d’oiseaux migrateurs dessinait sur la vague des nuages, des traces de crayons noirs. Du bout des doigts, il caressait les ailes doucement, ses bras tendus sur l’interligne.
 
Lentement, il déplia, délia les cordes qui le tenaient amarré aux mensonges, il mit dans son ventre la lueur de ses yeux et regarda dedans, et plus encore que l’éclat qui ferme les paupières, il eut peur, un instant, une furtive seconde, mais si peu. Il connaissait ce sentiment, c’était son compagnon depuis toujours, aussi il n’eut aucun mal à le détourner de lui.
 
Il allongea son corps sur le bitume du trottoir, doucement, et laissa son visage se couvrir de la fraîcheur des brises. Puis, enfin, il respira, si fort, il respira si vite, il respira jusqu’au rire, jusqu’au cri. Le cri lui donnait l’accord, celui de sa lucidité retrouvée, celui de ce qu’il était là, maintenant, qu’il allait être toujours, parce qu’on ne peut revenir en arrière quand elle est là, quand elle a pris sa place au centre, visible et évidente.
Sa lucidité, elle lui parle, et c’est si simple, si simple de lâcher prise et de se dire, sans fard, avec amour pour lui, tendresse, de se dire ce qui est et qui ne changera plus.
 
Ce fut difficile de se relever, peut-être aurait-t-il voulu s’étendre à jamais, suspendu à sa vérité, à la clarté des aveux, à l’abandon pour soi, pas l’abandon de soi.
 
Tout à l’heure, devant son miroir, celui qu’il ne reconnaissait pas, sur la surface noire du café lourd, ce flou de lui incertain, juste une image, une feuille emportée par le cours d’une eau trouble. Tout à l’heure, il avait su qu’il ne serait plus seulement le reflet.
 

Il rentra à la maison.
 
Quand elle le vit, elle ne sut pas ce qui était le pire, son sourire ou le regard flamboyant sur son visage. Il la regardait, dans les yeux, jamais il ne l’avait regardée ainsi. Il semblait avoir arrimé ses regards aux siens pour qu’elle ne lâche pas, pour qu’elle reste amarée à ses pupilles.
 
Ses gestes étaient étranges, souples, il marchait dans sa direction, la tête légèrement inclinée. Elle pensa qu’il ne s’arrêterait pas, qu’il allait passer à travers elle sans heurts. Elle était l’écluse, béante et imperceptible, l’inutile.
 
Lorsqu’il fut près de la toucher, il posa ses mains sur ses épaules, continua de laisser ses yeux mangés les siens et il lui dit tout.

 
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