Catherine Estrade




                               La Marche         



 

Il est pâle le jardin de novembre. Et le rouge s'étale par touches pathétiques, sur le sol. Il ne faut pas laisser les yeux s'égarer sur les feuilles pourrissantes.

 

Elle marche, une légère inclinaison sur la gauche, la tête bercée par les pierres du chemin.

Des pensées s'accrochent mais ne restent que le temps du souffle d'un mot. Le début de quelque chose qui ne finit jamais.

Quand elle a pris la décision de partir elle ne savait pas ça. Elle ne savait pas la puissance du pas, celui qui ne s'arrête pas, qui comble les zones désordonnées de la peur.

 

Maintenant elle laisse faire, son corps a pris les rennes de ce que sera la suite. Elle avance. Le bruissement élastique de la boue scande une mélopée confidentielle qui n'a de sens que pour le rythme qui l'habite. Les Ombres mates et précises posent des soupirs. Elle les piétine tendrement et les quitte, le regard porté vers le ciel, entre les branches nues.

 

Elle a su lorsqu'elle a longé la rivière. Elle a su qu'il n'y aurait pas de retour. Elle suivrait le cours jusqu'à la fin. Et l'Océan serait mort depuis longtemps. Qu'y aura-t-il alors ?

 

Les joncs penchent leur fragilité sur la rive. Les herbes molles et grèges griffent les jambes et blessent. Le sang s'égoutte. Elle n'a, dans le creux de son cou, que la caresse inerte du murmure de silence. Du murmure de l'eau et de ce qu'elle raconte à sa peau, à ses pas dissonants.

 

Elle sourit, la douleur:face sombre d'un mystère bien plus grand. Elle chante avec la course des flots verts sur la roche. Des mousses se divisent sur le flanc des granits et les chutes légères appuient les soubresauts du sentier mutilé.

 

Qu'y a t-il là-bas ? Faudra t-il revenir et repartir encore ? Elle psalmodie les derniers sursauts des inutiles, des mots moroses, des tristesses sans faille.

 

Mais seulement l'eau et l'allure , la fermeté de sa marche peu à peu. Ce n'est pas qu'elle aille plus vite, c'est qu'elle ne boîte plus, que ses épaules restent droites face à la lande, aux ombres des arbres, à la rivière sur sa gauche.

Elle voudrait poursuivre toujours, et elle le sait, ça ne cessera pas.

Peu à peu elle laissera les pensées s'envenimer de tourbe, parce que c'est dans la tourbe, avalée par la sphaigne, que l'eau poursuit sa course. Parce que ça ne finit jamais vraiment.

Peu à peu, loin devant, elle s'enfoncera dans la glaise épaisse, elle sera dévorée par l'herbe à rosée telle une mouche égarée.

 

Et continuera la marche, dedans les entrailles molles et chaudes de la terre.