Des dunes et des ocres

  Catherine Estrade

 
       

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           Bamako   

 
Les crapauds filent et se figent curieux au va et vient de ces humains chargés de bagages.
La chaleur. J'avais quitté Novembre en France.
Ce n'était pas encore Bamako, il me faudrait attendre. Attendre un an: je parcourrai l'aéroport, inquiète.
Ce soir là, le premier à Bamako; je n'ai pas traversé le pont.

Lumières diffuses dans la nuit cloutée de flammes. Les lampes à pétrole éclairent les visages noirs. Les verres de thé changent de main. Un chien franchit la piste.
La nuit, le jour, j'échange, je mélange, et l'un et l'autre, le blanc et le noir s'écartent, s'éloignent. 
Le blanc dégringole, clair et fulgurant. Le noir s'étend vif et palpable. J'attrape des morceaux de nuit qui m'échappent doucement. Je ne les retrouve nulle part.
Entre ciel et terre, espace intemporel qui n'appartient qu'à elle, Bamako bascule.
Je goûte la saveur sucrée des heures qui n'en sont plus. Je bascule.
Le lendemain, j'ai passé le pont des martyrs.
Dessous, l'Artère, le Flux, le Niger, le Fleuve qui me rappellerait à lui si souvent.
Les couleurs, les sons, les odeurs, je plonge et je m'enfonce.
Projetée, envoyée, j'explore mes confusions. Sortilège originel, mes pas envoûtés me guident, entre panique et extase, entre bonheur et dégoût.

          Bamako bouscule.
          Je suis blanche, évidente.

Cigarettes de contrebande, parfum frelaté, ébène falsifiée. Remous...Bracelets bigarrés, passés, forcés au poignet. Secousse...

          J'ai les bras douloureux.

Les bananes, les pastèques, les mangues, je mange, j'avale tout. J'étouffe, j'achète: les arachides en petits paquets serrés, les gris gris, les brics et les brocs et le toc.
Eclats argentés sous le soleil épais, un âne tire une charette lourde d'entonnoirs entassés. Il sillonne les étals encombrés de cartons survécus, métaux rouillés, ferrailles circonflexes. 

         J'épouse sa peine.

Sur la tête des femmes: bassines, panière de fruits, châteaux de cartes nonchalemment tangués. 
Les coiffures s'amusent, s'entortillent. Les tresses se dressent par deux, s'élancent par trois. Elles se font géométrie compliquée, moulée. Les couleurs se serpentent dans les labyrinthes de chevelure factice. 
Le cou se tend, noble à la caresse de la nuque.
Plus tard, lorsque j'aurai grandi, on me laissera regarder les pagnes multicolores serrant la taille des femmes. Regarder le regard des enfants qui mendient.